NEDREAAS Torborg / La nuit volée.
La nuit volée.
Torborg NEDREAAS .
Note : 5 / 5.
À la recherche de l'âme perdue !
Après avoir découvert cette auteure norvégienne grâce à son somptueux recueil de nouvelles « Derrière l'armoire, la hache », je ne pouvais décemment pas m'arrêter là !
Un homme cherche une femme croisée quelques jours plus tôt, il ne sait pratiquement rien d'elle, ni son nom, ni un quelconque détail qui pourrait l'aider. Il se souvient de ce moment qu'il voudrait recommencer ou au moins prolonger. Cette nuit où il entendit la confession de cette inconnue.
Une rencontre d'un soir un peu pluvieux du printemps, un homme seul, une femme également solitaire dans une gare avec une valise. Il l'aborde, elle ne fuit pas, ils marchent, puis elle accepte d'aller chez lui.
Elle désire parler, épancher sa vie de silence ; pour cela elle a besoin d'un début d'ivresse alors elle boit. Elle impose deux conditions, que l'homme ne regarde jamais la pendule, elle se sentirait humiliée et cesserait son récit, et veut à boire et des cigarettes. Le temps passant, sa langue se délie, elle se raconte.....ses années où elle s'est tue et a menti . Elle prévient, c'est une histoire très dure ! Est-il prêt à tout entendre ? Car elle va lui voler sa nuit ! Il a le choix prendre son corps ou son âme, il a son libre arbitre, mais il ne possédera que l'un ou l'autre.
Il décide d'écouter.....
Pour cette femme, dans une petite ville où l'hypocrisie est élevée au niveau d'une religion, l'histoire serait presque banale. Très jeune elle est amoureuse d'un de ses professeurs, guère plus âgé qu'elle. Elle ignore qu'il est fiancé et il se garde bien de lui dire. Cette liaison secrète durera des années. La nuit s'écoule, les révélations deviennent plus précises au fur et à mesure que l'ivresse augmente. Le narrateur est subjugué et commence à mieux comprendre cette femme et à avoir un autre regard sur elle, de la compassion, puis une sorte de passion. Elle vit et travaille dans une mine près d'une petite ville très fermée où le conformisme est obligatoire, ses parents ne s'entendent plus, elle très croyante, lui développant un grand sentiment de culpabilité. Elle a, adolescente, le sentiment d'être la laissée- pour-compte de la famille. La religion pèse d'un poids considérable sur la vie quotidienne, et l'amour est le péché, la chasteté un dogme, le reste, le mensonge, l'hypocrisie...ne sont que balivernes....Trahie par Johannes son amour de jeunesse, contrainte d'avorter, en porte-à-faux vis à vis du reste de sa communauté, nous suivons donc la vie chaotique de cette femme à qui rien n'est épargné .
En plus de son histoire personnelle de cette narratrice, dont nous ne savons pas le prénom, l'auteur nous parle de la vie de l'époque, la pauvreté, les conditions de travail, celles des femmes aussi, entre les enfants et les désirs sexuels des hommes, les nombreux avortements dans la classe ouvrière, le poids de la religion, puis l'éveil politique, les grèves.
Une femme, qui au bord du gouffre, décide de raconter sa vie, dure existence de jeune fille pauvre et mal dans sa peau et dans sa condition de femme. Amoureuse absolue elle souffrira de la plus extrême solitude dans un monde qui la rejettera et la brisera . Un homme n'est que le prétexte, une oreille , pour briser le destin de cette femme. Qui semble avoir choisi l'autre? Mais lui au matin retrouve sa solitude....et le fol espoir de la retrouver!
C'est très bien écrit, et cela confirme tout le bien que je pensais de cette auteur suite à la lecture de son recueil de nouvelles. L'auteur réussit tout au long de ce roman à ne pas tomber dans le piège du misérabilisme.
Les moments où l'homme s'exprime, le texte est en italique, chose que je respecterai dans les extraits.
Extraits :
- Certains jours sont comme ça.... vides. Ils vous font mal, dedans, ils vous montrent du doigt, ils vous rejettent.
- Voilà pourquoi je dois revenir sur cet instant ; je dois le revivre, car il entrouvrit une porte sur la personnalité de cette femme que je ne connaissais pas.
- Physiquement, je ne la désirais pas. Mais je souhaitais que cette promenade ne finisse jamais.
- Vous savez comme moi que faire l'amour est un plaisir et souvent, pour moi, un bonheur. Alors que l'amour est plutôt affreux......
- Une histoire de mal d'amour et d'argent, d'adultère et d'érotisme, du diable de sa suite.
- Une histoire laide. Horrible. L'horreur. Avec du sang, de la morve et du pus.
- Des amours adolescentes ? Eh bien, dans leur amour, les filles ne sont pas aussi innocentes qu'on pourrait le croire.
- Sur le plan érotique d'autres hommes m'ont davantage apporté. Mais aucun ne m'a fait épanouir ou n'a déployé autant mon âme comme celui-là. Tu peux me dire pourquoi ?
- Il y a des lois qui régissent le monde entier, mais une ville comme la nôtre a les siennes en propre. C'est une espèce de sous-produits des zones, une caricature même. L'hypocrisie générale, qui est tolérée ailleurs, chez nous fait profession de foi.
- Elle rit ; elle s'amusait vraiment de sa comparaison, et je perçus comme elle avait dû être jolie quand elle était heureuse. Elle alluma une cigarette avec plaisir. Lentement elle souffla l'allumette. C'est comme si elle embrassait très lentement la flamme jusqu'à ce qu'elle s'éteigne.
- Et moi aussi, je voulais être heureuse. Ou plutôt, je voulais ne plus avoir mal pendant quelque temps. Je voulais me reposer un peu de cette douleur.
- Elle posa ses poings contre ses yeux. Je notais que je serrais les accoudoirs de mon fauteuil de toutes mes forces, comme si j'avais peur de tomber ; alors je me détendis.
- Pour sortir de ma prison, il n'y a pas de porte, dit-elle lentement, tirant une longue bouffée de sa cigarette.
- Il dormait dans mes bras, nous étions enlacés, et lui dormait, et moi j'étais seule.
- Et pourtant, c'était comme s'il était mort. Non, pas mort.
Parce que la mort n'est pas le pire des cas de ce qui peut séparer deux êtres.
- La bouteille est une bonne amie pour celui qui sait bien la traiter, et c'est une fausse amie pour celui qui pense qu'il peut lui donner n'importe quoi.
- C'est le deuxième. Le deuxième, c'est le début. C'est la première circonstance fortuite qui constitue la chute de la femme, comme on dit.
- C'est comme ça. On ne meurt pas d'amour.
- Ainsi, tu as connu une partie de ce tout que l'on appelle les pogroms du foetus.
- Mais aimer un homme, ce n'est pas toujours la même chose que coucher avec lui.
Éditions : Cambourakis (2010).
Titre original : av måneskinn gror det ingenting (1950)