O'CONNOR Joseph / Muse .
Muse.
Joseph O'CONNOR .
Note : 3,5 / 5.
La muse, la servante et l'enchanteresse.
Molly Allgood et John Synge n'ont pas la notoriété d'un des grands couples de légende de l'époque, Maude Gone et William Yeats. Mais eux furent amants et s'aimaient sans faux-semblants.
Le contexte historique joue un grand rôle, c'est la période de ce que l'on nomme « Le renouveau celtique », le retour au passé irlandais inspire de nombreuses œuvres. Les légendes sont revisitées, amours déchirants mais aussi un côté épopées guerrières, la révolte artistique gronde chez les intellectuels, la création de « L'Abbaye Theatre » permettra à ces talents nouveaux de s'exprimer.
Londres, octobre 1952, de bon matin dans un quartier délabré. Molly Allgood, plus connue sous son nom de scène Maire O'Neil, vit dans le dénuement le plus complet. Elle, une des plus grandes actrices de son époque, la fiancée de John Synge, un des couples les plus décriés d'un Dublin en pleine effervescence, comment en est-elle arrivée là ? Lui l'auteur honni, le dramaturge hué par la foule, capable de déclencher une émeute pour une seule phrase. Elle, la catin catholique, actrice jeune et talentueuse, au fort caractère, à eux deux ils n'ont que des ennemis, les protestants, les catholiques, les nationalistes, les tenants de la loi et de l'ordre....seuls quelques amis auteurs et acteurs les soutiennent et parfois de loin... Rongé par la maladie, miné par des problèmes de relations avec sa mère, torturé par des questions de foi, Synge meurt en 1909 à 37 ans......Molly lui survivra ; une seconde vie commence alors pour elle . Actrice adulée, le théâtre et le cinéma lui font les yeux doux, elle joue et tourne avec les plus grands.....Londres, les théâtres les plus prestigieux, Hollywood avec sa sœur Sara.
Mais le succès ne dure pas......Un dernier clin d’œil du destin, à l'affiche d'un théâtre londonien, « Une production de l'Abbaye Theatre de Dublin : DEIDRE DES DOULEURS de J.M.Synge ». Les lettres clignotent au rythme des ampoules, illuminations furtives...
Molly Allgood et John Millington Synge sont dans ce livre indissociables ; pourtant la vie s'est cruellement chargée de les séparer. Il faut dire que tout les séparaient, âge, religions, conditions sociales, les lignes où Molly demande à John des explications sur des expulsions pratiquées sur le domaine des Synge montre le gouffre qui les séparait.
On retrouve au fil des pages les personnages marquants de l'histoire et de la littérature irlandaise de l'époque, Yeats, Shawn, Lady Gregory, Sean O'Casey. Sa soeur Sara, comédienne elle aussi, est morte adulée à Hollywoood. Pour la petite histoire, elle et Molly ont joué ensemble dans un film d'Alfred Hitchcock en 1930 « Juno and the Paycock » d'après la pièce de Sean O'Casey !
De la mère de Synge, il est souvent question, au détour d'une page, on peut mieux appréhender les problèmes profonds de ce fils élevé dans le protestantisme le plus intégriste, est-ce pour cela qu'il s’intéressât tant aux paysans catholiques et qu'il célébra dans ces pièces un vieux paganisme celtique ?
Une grande histoire d'amour pour une des pages les plus enrichissantes de l'histoire de la littérature irlandaise avec les implications qu'elles ont eu sur les futures Pâques de 1916.
Le côté « Renaissance Celtique » de l'époque m'a plus intéressé dans ce livre que l'histoire de Synge et de Molly malgré son implication historique. Je pense que la lecture de « Deirdre des douleurs » dernière œuvre écrite pas J.M.Synge, achevée par Yeats et Molly Allgood (pour qui le rôle principal était écrit) fera partie de mes lectures prochaines.
Il y a quelques petites choses à garder en mémoire, l'année de la création de « L'Abbaye Theatre », l'Irlande est une colonie du Royaume Uni et Dublin une ville de province, bien pensante. Tous les protagonistes de ce livre sont de nationalité britannique et très souvent de religion protestante. Ils furent pour la plupart des grands défenseurs des traditions celtiques et de la langue gaélique.
Autre détail, beaucoup des écrivains cités se sentant à l'étroit dans la très catholique et très conservatrice république irlandaise choisir l’exil et pour beaucoup l'Angleterre, seul Joyce fut une sorte de vagabond entre l'Italie, la Suisse et la France.
Il me semble aussi que Joseph O'Connor a été plus engagé politiquement dans certains de ses écrits, je pense au recueil de nouvelles « Les bons chrétiens » ou même à quelques lignes de « Inishowen », pourtant l'époque s'y prêtait.
Un bon livre malgré quelques longueurs et des descriptions qui parfois s'éternisent.
Une anecdote amusante, la lettre (réelle ou fausse?) indignée d'un provincial en visite à Londres adressée au Times, chef d’œuvre de racisme anti-irlandais dont je ne garderais que la conclusion :
- Vous comprendrez, Monsieur, que la Guinness, si je puis dire, me soit montée au nez.
Personnellement je préfère qu'elle me descende au fond de la gorge !
Extraits :
- Hélas, pour une femme, si elle a le front de dépasser l'âge de la maternité, les rôles se font aussi rares que les abeilles en hiver.Une vieille harpie jalouse. Une blanchisseuse irascible. Une mégère apprivoisée dans une pièce de boulevard.
- La vie sociale dublinoise est pour lui un supplice. Il exècre cette vulgarité, cette jovialité, cette hypocrisie : toute cette « grossière gaité de bas étage ».
- Dommage qu'on ne mesure pas l'amour à l'usure des semelles ; sinon, elle serait déjà mariée.
- La franchise est le dernier ressort du mauvais goût.
- Cependant, ce n'est pas l'Irlandais typique : il adore écouter. Ses rares confidents véritables furent tous des femmes.
- Le mariage, ça sent le chou et le mouton recuit, et vers la fin de la semaine, le graillon.
- Je n'ai pas créé ce monde, Molly. Toi non plus. Je vais au lac. Chercher de l'eau.
- Elle nota que tu parlais de lui au passé, te conseilla de lui laisser une dernière chance.
- Et puis d'autres encore qui avaient insisté pour présenter leurs condoléances en gaélique, comme si les sons de cette vieille langue pouvaient panser les plaies.
Éditions : Phébus (2011).
Titre original : Ghost Light (2010).
Autre chronique assez ancienne de cet auteur :
Les bons chrétiens.