KEROUAC Jack / Big Sur.
Big
Sur *
Jack KEROUAC.
Note
: 5 / 5.
Crépuscule !
A
mon avis un des livres les plus lucides de Kerouac et aussi le plus
poignant, la folie, la dépression et l'alcool sont omniprésents.
C'est certainement un de mes livres préférés de Jack Kerouac, le
plus émouvant sûrement.
En
1960, Kerouac tentant de se reconstruire, pense partir en Californie
dans une cabane que lui prête un ami. Loin du monde, il espère
trouver un havre de paix. Vœu pieu, mais vain!
Après
un réveil pénible dû à une beuverie, Jack Duluoz part pour Big
Sur, son arrivée au milieu de la nuit le terrifie, le bruit
étourdissant de la mer qui semble provenir de sous ses pas, la
faible lueur de sa torche et la réflexion sur la dangerosité du
lieu énoncé par le chauffeur qui le conduit l'angoissent au plus
haut point. Et l'auteur cherchant la raison de l'échec de ce voyage
dit :
Ça ne vaut la
peine d'être raconté que si je vais bien au fond des choses. Kerouac
fuit la célébrité, sa vie de fou depuis le succès de son livre
« Sur la route ». En réalité, il tente de se fuir
lui même, de briser l'image que les gens se font de son personnage
de beatnik courant le pays en stop. D'ailleurs il va en Californie
en train, puis emprunte un bus et termine le voyage en taxi,
l'aventure est loin! Les années ont passé et le monde a changé,
d'ailleurs les dernières tentatives de l'auteur pour faire du stop
seront un échec . L'endroit
est imposant, une carcasse de voiture accidentée dix ans plus tôt
gît dans la mer, le brouillard est intense, seule présence Alf, le
mulet placide. Les tâches domestiques, la lecture Emerson et Walt
Whitman, l'écriture de « La mer », le soir assis sur un
rocher, et les réflexions sur sa vie maintenant qu'il est célèbre
meublent sa solitude. Mais dès le quatrième jour, l'ennui le gagne,
alors il retourne à la civilisation, aux amis, aux beuveries.....Une
lettre de sa mère lui apprend la mort de Tyke, son chat, il s'ensuit
une longue période sombre et très alcoolisée, il retrouve Cody qui
est sorti de prison et des amis de longue date, Jack a de l'argent,
donc les bouteilles défilent..... Il manque un rendez-vous avec
Henry Miller, (auteur lui aussi d'un livre nommé Big-Sur) pour cause
d'ivresse.
Dans
un de ses rares moments de lucidité, il repart pour la cabane de
Mansato, accompagné de quelques amis pour ce qui devraient être des
jours heureux....
Lorenzo
Mansato, en réalité Lawrence Ferlinghetti, libraire, poète et
éditeur, est un ami de longue date de Jack et aussi un des ses plus
ardents défenseurs. Cody,
ce bon vieux Cody, l'ami des premiers voyages, celui de « Sur
la route » personnage sûrement idéalisé par Kerouac qui
avait pour lui un sentiment étrange d'amitié et très certainement
de jalousie. Evelyne, l'épouse de Cody, et la maîtresse de Jack,
Billie, la maîtresse de Cody, puis de Jack, éternel trio amoureux
qui marquera la vie des deux hommes. Billie a un garçon Elliot,
très possessif qui obnubilera Jack qui viendra à le détester
durant ce qui aurait dû être un séjour agréable entre amis avec
Dave et Romana, mais qui marquera le fin du séjour californien de
Kerouac.
Je
ne pense pas avoir, au cours de ma première lecture, ressenti le
côté désespéré de ce texte qui est mon impression principale
maintenant. L'âge et la maturité sûrement. Certaines pages sur son
alcoolisme sont (un peu à l’instar d'un autre auteur ayant le même
penchant, Bredan Behan) édifiantes et terrifiantes de réalisme. La
mort aussi est présente, la mort animale surtout, Tyke son chat, un
poisson rouge, une loutre, une souris, tous ces évènements vont
aider la descente aux enfers de Jack, qui semble-t-il, ne s'en
remettra jamais, et pourtant ce récit se termine sur une note
optimiste.
Ayant
terminé ce livre, je me dis que cela a parfois du bon de revenir sur
ses anciennes lectures, en ayant acquis certaines connaissances sur
l'auteur et ses écrits et le malentendu dramatique entre l’œuvre
et l'homme, entre l'écrivain et ses lecteurs.
Un
dernier mot, les auteurs bretons parlent souvent de Kerouac dans
leurs écrits, comme d'un compagnon de route, et c'est ce que
j'éprouve moi aussi pour lui.
Extraits
:
-
Le sacré « Roi des Beatniks » est de retour en ville, il paye à
boire à tout le monde.
-
Mais c'est facile à dire quand votre fuite loin de la cité sordide
s'avère réussie.
-
Oui, une plus grande solitude est donc nécessaire.
-
Et c'est là, en fait, l'une des circonstances qui ont contribué à
provoquer ma crise de démence.
-
« Je suis breton ! » m’écriai-je et les ténèbres
répondent :
« les poissons de la mer parlent breton.** »
-
En fait, je ne suis qu'un clown malade d’écœurement comme tout le
monde.
-
Mais la mer ne m'avait-elle pas dit de retourner vite vers ma propre
réalité ?
-
Fini le gazouillis du ruisseau ; je suis revenu dans la cité
maudite, je suis pris au piège.
-
Cela accroît mon cafard, toutes ces choses de la Mort qui
s'amoncellent soudain.
-
Une gigantesque beuverie commence au fond du canyon.
-
Mais la paranoïa causée par la drogue n'est pas l'élément
essentiel et pourtant.... il y a longtemps que j'ai cessé de me
droguer, cela ne me réussissait pas.
-
Un crépuscule bleu tombe sur le monde californien. Frisco étincelle
là-bas.
-
Et je suis là en train de me flatter, fonçant tête baissée vers
la haine la plus stupide que j'ai jamais éprouvée.
-
Ce qui est encore un indice de la folie qui va s'emparer de moi à
Big Sur.
-
Mais tous les venins que j'ai dans le sang sont asexuels, asociaux,
à-n'importe quoi.
-
Je m'écris : « Mais ils ont l'air tous morts ; le sommeil
c'est la mort, tout est mort ! »
Éditions
: Gallimard (1966).
Titre
original : Big Sur(1962).
*
suivi de « La mer/ Bruits de l'océan Pacifique à Big Sur ».
**
en français dans le texte.
Chroniques sur Jack Kerouac :
Jack
Kerouac, Breton d'Amérique. Patricia Dagier & Hervé
Quéméner.
Chroniques
des livres de Jack Kerouac :
KEROUAC
Jack / Maggie Cassidy
KEROUAC
Jack / Visions de Gérard
KEROUAC
Jack / Vraie blonde, et autres.
KEROUAC
Jack/ Les Souterrains.