La
Cour des Petits.
Jean-Claude
Le CHEVÈRE.
Note
: 5 / 5.
Pension
sans famille.
Auteur
costarmoricain que je découvre avec ce roman qui est son cinquième.
La vie d'un enfant dans un pensionnat religieux où l'éducation se
fait sur des dogmes très précis, arbitraires, humiliants, fondés
sur la discipline et la peur.
Pierre
Le Gall rentre en sixième et de ce fait en pension dans une ville
voisine de la sienne. Tous les changements arrivent au même moment.
Il va découvrir, lui enfant de la campagne, la ville et
l'enfermement entre les murs gris de l'institution des Augustins.
Après une vie de famille avec une certaine liberté, il doit se
plier à une discipline très stricte basée sur le silence, les
brimades et les châtiments corporels. L'amour d'une mère et la
quiétude d'un foyer sont remplacés par la promiscuité et la
découverte d'un monde masculin et religieux.
Car la main mise de
la religion sur l'éducation est absolue, avec son corollaire,
l'hypocrisie et l'oubli de toutes les soi-disant valeurs chrétiennes.
Les rares enfants pauvres sont mis à l'écart, car ici le pouvoir
de l'argent est une des règles de base en vigueur. Pierre s'en
apercevra un jour au cours d'une altercation suivie de coups entre un
élève appartenant à une famille nombreuse et catholique
pratiquante et un professeur, ancien militaire.....L'ennui
et la routine viennent jour après jour s’installer, surtout pour
les enfants habitant loin et qui ne rentrent que pour les vacances.
La promenade en ville du dimanche après la messe du matin se déroule
en plus sous les quolibets des enfants de l'école laïque, et la
semaine reprend, monotone et affligeante. La
violence s'installe entre ces garçons seuls et cloîtrés qui n'ont
que peu d’occasion de se défouler, le sport ne remédiant pas
toujours à leur envie de jeu qui est de leur âge. Les matchs de
football sont durs et les rancunes tenaces, les perdants se sentent
humiliés et tentent parfois de se venger. Les
rumeurs et les bruits les plus fous circulent, colportés de classe
en classe et donnent parfois lieu à des drames et passages à tabac
sous l’œil plutôt indifférent des pions et autres autorités....
Pierre
Le Gall et sa famille, ses copains, les curés enseignants servent de
personnages à cette chronique d'une enfance gâchée. Melle Lessard,
sorte de fée dans un monde de brutes, seul personnage féminin de
l'institution qui, bien évidement, marque Pierre qui la décrit avec
beaucoup de franchise :
-...non
que j'y découvrisse des charmes jusqu'alors cachés à ma
compréhension, mais en raison de ses longues jambes fuselées, de
son corps élancé dont nous découvrions les courbes parfaites sous
sa blouse blanche négligemment boutonnée.
La
vie avec son lot de lâcheté et de compromission vue par un petit
garçon innocent, mais déjà lucide qui lui aussi baissera les yeux,
mais constatera avec dégoût que la pension est un monde très dur.
Très
belle écriture avec une recherche dans le vocabulaire qui m'a permis
de découvrir des mots très peu usités : quia, minus habens, et
endêver !
Un
livre à l'ambiance très lourde, car à la violence des enfants,
paralysés par la peur qui se vengent sur plus faibles qu'eux,
s'ajoute (et là c'est insupportable) le sadisme des religieux. Les
seuls exutoires de ces garçons cloisonnés entre les murs de
l'institution sont le football et le cross-country! Même les
promenades en campagne donnent lieu à des jeux obligatoires. Seul
coin de ciel bleu pour Pierre, la littérature!
Une découverte
qui pose une question « Qu'ont fait ces enfants pour mériter
ce sort? » Le poids des traditions? Ou alors le plus souvent
pour des familles aisées, se débarrasser du problème de
l'éducation des enfants, ou se dire qu'un séjour en pension prépare
à la réussite? Pourtant d'après l'auteur le niveau des enseignants
est plutôt faible. Et pour les gens de peu de moyens, pourquoi un
tel sacrifice financier avec en plus l'humiliation de demander un
payement échelonné?
A
lire, car on ne sort pas indemne de ce récit qui semble être un
documentaire sans fioritures.
Extraits
:
- J'apprenais vite qu'ici tout portait le nom d'un saint, que
rien n'échappait à la religion, que, d'ailleurs, la vie,
l'enseignement, la religion, c'était la même chose.
-
Il nous connaissait depuis toujours, nous, les gens des hameaux et
des bourgs, parce qu'il venait des mêmes champs que nous, la rougeur
de ses poignets en témoignait.
-
Le moment de stupeur passé, les rires fusaient et l'abbé Retel
surpris, répéta : « Saint-François 4 – Sedan 3 ».
- Tout,
dans notre vie quotidienne, était rythmée par les rappels à
l'Église, à la religion.
-
Courber l'échine et laisser passer l'orage en attendant la
possibilité de s'abriter définitivement, telle semblait être
devenue notre devise à tous, et chacun jouait hypocritement le jeu.
-
Trois sujets nous occupaient quotidiennement, notre travail scolaire,
le football et les filles.
-
Nous avions une telle quantité de travail à fournir quotidiennement
que la réflexion, toujours repoussée, devenait un luxe.
-
….le malheureux coupable ayant entassé quelques boîtes de
conserves, dont une du fameux pâté Hénaff ; leur existence même
était interprétée comme un reproche aux Augustins qu'on accusait
ainsi de ne pas nourrir correctement leurs élèves.
-
Comment une jeune femme aussi belle, aussi douce, à la voix aussi
agréable pouvait-elle travailler au milieu de ces vieux crabes
poussiéreux et encore, pour la plupart, ensoutanés?
-
Tout ce qu'on nous apprenait ne servait donc à rien.
-
Son avenir se précisait, je n'osais imaginer le mien. Attendre.
Attendre. Attendre quelques années encore...
Éditions
: Éditions Apogée (2010).
Bonne journée, Yvon!
PS : merci pour les photos de Carhaix. Elles sont réussies!