GUILCHER Rozenn / La fille dévastée.
La fille dévastée.
Rozenn GUILCHER.
Note : 4 / 5.
Souffrance et errance !
Ce livre fait partie des sorties très récentes, le 13 octobre, il me semble. Donc pour une fois, je vais parler d'une nouveauté. Rozenn Guilcher est une auteure née à Brest dont c'est le premier roman. Il vaut mieux prévenir que guérir, mais âmes sensibles s'abstenir! Ce livre est très dur, très réaliste sûrement et à ne pas mettre entre toutes les mains.
Ce roman est divisé en trois parties, « Enfance », « Déchéance » et « Délivrance ». Le ton est donné! L'enfant, la petite fille, n'est pas prénommée Désirée, de cela nous sommes sûrs. Pour le reste, pas de prénom, ni elle (nous le saurons, mais vers la fin du récit), ni sa mère! Où sommes-nous? A quelle époque? Tout cela reste un mystère. Deux personnages, deux narratrices, plaintes et complaintes, les voix se juxtaposent, se rejoignent, puis s'éloignent. Le sentiment dominant, l'angoisse, la peur de rentrer trop tard, de mal faire, l'enfermement physique dans le placard, l'enfermement moral et mental. Un univers tragique au possible, et malgré tout une sorte de résignation qui confine à l'amour chez cette petite fille. Toute vie commence par la naissance, toute non-vie aussi d'ailleurs. La mère est seule dans une chambre, puis l'abandon du bébé déposé dans un coin de parc enneigé. La vie dépend alors d'un chien que son maître promène, puis la mère reprend l'enfant, pas par amour ou par remord, juste pour éviter les poursuites judiciaires! Ainsi va la vie, et dans le cas présent, non pas le meilleur, mais le pire! Trois étapes, trois parties, la naissance, les dix-huit ans, les trente ans, la violence verbale, la cruauté également, le traitement infligé aux animaux de compagnie de l'enfant . L'alcool, seul point commun entre elles, les litres de mauvais vin que l'on partage, la fille couchant la mère les mauvais soirs. Le fait d'être deux, simplement deux, mais depuis toujours, pas d'amies, de relations, un huis-clos amour-haine entres ces deux femmes, l'une dont l'autorité baisse, l'autre qui cherche à affirmer un semblant de personnalité et pourquoi pas vivre enfin!
Dieu est, si je peux m'exprimer ainsi, le seul personnage masculin du livre, sorte de confesseur, le seul à qui l'on parle, parfois. L'écriture comme thérapie, la fille tente de s'en sortir de cette manière, en de vaine tentatives de déculpabilisation, et de justification. Il y a en italique dans le texte des poèmes et divers écrits, lignes de désespoir, sombres comme la nuit de la naissance! Des titres en forme de confession, de cri pour vaincre la pire ennemie, l'angoisse, « Tu as vécu sous la terre », « Tu ne mérites que ça » « Ils cousent la bouche des morts », « On entre en vous comme dans un moulin » « Chez moi c'est ailleurs ». Et ailleurs, c'est vague, mais loin, et il faut encore attendre....
Ce livre n'est pas pour les tenants d'un certain classicisme, le style est volontairement rapide, genre coup de poing, la ponctuation, à part le point, est quasi inexistante et les phrases n'ont pas toutes un verbe, etc.....Une dernière précision, ce roman donne envie d'être lu à haute-voix!
Une découverte et une œuvre marquante, sorte d'OVNI littéraire qui frappe l'imagination. Je pense qu'il faut un certain courage pour écrire cette histoire, et question lancinante, en refermant ce livre, quelle est la part de vécu dans tout cela ?
Extraits :
- Et lorsqu'elle avait un léger retard elle s'entendait dire « Tu as traîné ». Plus tard « Tu es une traînée ».
- Violence. Mais jamais frappée. Juste des mots anodins et soupirs et regards.
- Et la force se multiplie par deux : l'autre dans sa rage vous dans l'adoration.
- Un autre embryon se serait fait la malle dans le trou des chiottes.
- Car Dieu est comme le service social : il ne voit pas tout.
- L'enfant il a bien fallu lui trouver un prénom. Un seul prénom ça suffit.
- La vraie réponse c'est que ma douleur la faisait davantage exister en mère sacrificielle. Pouvait consoler.
- Tu n'es pas laide, non, enfin.
- C'est pourquoi l'écriture est une telle liberté. C'est pourquoi.
- Et l'angoisse vous prend. Vous ne savez comment venu.
- Elle traîne en ville. Elle promène son errance et la traîne par les cheveux quand elle ne veut plus avancer.
- Je préfère qu'elle se débrouille avec sa propre mort la sienne de l'intérieur.
- La parole l'alcool, même principe : saouler. Ne dit-on pas : « Tu me saoules ?»
- C'est pareil quand je demande pour mon père. Tout devient abîme et torture. Il ne faut pas en parler non plus. Surtout pas.
- Se cogne contre le radiateur en fonte. Le mur non. Pas assez dur pas assez pointu.
- Toutes ces blessures tout ce sang. À panser penser. Tous ces pansements.
- Reproduit le même schéma fusion-rejet. Trop d'énergie ce combat incessant pour reconstruire. Où sont mes fondations. Les ai-je laissées en mère?
Éditions : Sulliver (2009)