LETESSIER Dorothée / Le voyage à Paimpol
Le voyage à Paimpol.
Dorothée LETESSIER.
Note: 4 / 5.
Ex.O.S.
Etant né à Paimpol ou plus précisément à Kerity et les aléas de la vie ayant fait que je n’y suis pas retourné pendant quarante ans, j’ai promené ce livre pendant des années dans mes bagages. Il est temps pour moi de le relire.
-" J’étouffe, je vais prendre un bol l’air. A bientôt, je t’embrasse. Maryvonne."
Un jour de ras le bol, Maryvonne laisse ce mot à son mari, elle part prendre l’air. Quand on est Ouvrière Spécialisée(O.S) fin des années 1970, l’évasion, ce n’est pas Katmandou, ni même le Larzac non, mais Paimpol fera l’affaire, une petite promenade en car et enfin un peu de liberté.Un trajet sinistre sous la pluie dans une Bretagne sans touristes, des routes qui effleurent les maisons, et des arrêts incessants.L’arrivée enfin, prendre un thé chaud et enfin profiter de la vie, mais en observant une autre dame dans le salon et, après un calcul rapide, se dire que son habillement représente quatre mois de son salaire personnel, n’aide pas à la sérénité de Maryvonne. En plus que l’accueil à l’hôtel, une femme seule sans bagages, n’est pas des plus avenants, mais courage, un bon livre et un bain chaud et nous voilà toute requinquée pour passer à table. Mais tout n’est pas rose, à Paimpol, ni ailleurs.
Ce livre est avant tout le constat amer de l’auteur sur sa vie professionnelle d’abord vendeuse dans un magasin, puis ouvrière à la chaîne. Les cadences et la fatigue, le syndicalisme et les grèves, les conditions de travail. Mariée à un ouvrier, son couple se ressent d’une usure morale et physique, les factures, la difficulté de vivre décemment. Un plaidoyer pour la classe ouvrière, mais vingt ans plus tard, il semblerait hélas que les conditions soient pires.
L’écriture est sans fioritures, ni mélodrames rajoutés Des drames surviennent, la mort du fils d’une ouvrière, les maladies que l’on cache pour ne pas perdre d’argent, des joies parfois, l’amitié et l’entraide pendant les grèves.
Un bon livre qui n’a pas vieilli, que je mettrai en parallèle avec "La maison du peuple*" d’un autre briochin Louis Guilloux.
Extraits :
-Je contiens ma colère. Elle vit pourtant, magnifique en moi. Je l’emprisonne. Je me dompte.
-Ou qu’est passée ma femme ? Je croyais bien l’avoir rangée là, entre le buffet et l’évier, mais je n’arrive pas à remettre la main dessus, c’est incroyable.
-Etre O.S là ou ailleurs, c’est la même douleur.
-On ne fait jamais l’amour le dimanche soir. On s’imagine déjà à l’usine.
-Des bretonnes sans coiffe revendiquent le droit au travail dans l’électronique ou ailleurs.
-Elle a mis quatre mois de mon salaire sur son dos.
-Marilyne travaille à la chaîne.
Marilyne s’appelle Maryvonne.
Et Maryvonne a les seins qui tombent.
-On se laisse aller à croire que tout peut changer.
-Mais on gagne quelques sous et on reprend les habitudes et les cadences, la grève et ses espoirs indécents sont perdus.
-Je ne sais plus quoi faire. Je m’ennuie. Je m’emmerde.
Editions du Seuil( 1980)
*Voir ici.