LEFÈVRE Françoise / Retour au royaume.
Retour au royaume.*
Françoise LEFÈVRE.
Note : 5 / 5.
Au bonheur des mots.
Auteur (e) ou autrice (je ne sais plus réellement) que je découvre avec ce livre magnifique ! Elle a pourtant déjà publié une vingtaine d’ouvrages avant d’arrêter d’écrire.
Douze ans de silence et un retour dans le royaume de l’écriture comme l’indique le titre.
Une femme se penche sur une feuille blanche, sur sa vie et sa carrière d’auteure.
Elle se souvient d’une phrase, prononcée il y à cinquante ans :
- « Écrivez ».
La personne qui lui intime cet ordre est Jean-Jacques Pauvert, l’éditeur. Cette parole va bouleverser sa vie.
Sa jeunesse, son amour pour un peintre qui n’arrivera pas à percer. Les voyages et la bohème. Mai 1968 est passé par là, la libération sexuelle aussi, mais être fille-mère avec deux enfants, en 1972 n’est pas très bien accepté. Elle et les filles sont abandonnées par leur père et se retrouvent à la rue. C’est le début d’une période de misère.
Elle met ses enfants en pension, on lui prête un taudis plus proche du trou à rats que d’un studio, à la Bastille. Sans eau, sans électricité avec une porte qui ne ferme pas. Le petit boulot de nuit qu’elle trouve ne remplit pas la gamelle.
Mais un jour, le destin se penche sur son cas. Un éditeur cherche de nouveaux talents. Au culot, elle, la mauvaise élève, vainc sa timidité, prend son courage à deux mains et obtient un rendez-vous.
Et le miracle se produit.
Mais que reste-t-il tant d’années après ? Elle a été éditée, a obtenu des prix, mais Jean-Jacques Pauvert est décédé. Alors elle décide de ne plus écrire, promesse qu’elle tiendra pendant très longtemps.
Mais au soir de sa vie, dans la solitude de sa vieillesse, elle pense avoir encore des choses à transmettre, alors elle retrouve un coin de table et rédige ce qui sera ce livre.
Un personnage absent mais omniprésent, Jean-Jacques Pauvert. Editeur, osant republier le Marquis de Sade, découvreur de talents, publiant en 1968 « La désobéissance civile » de Henry David Thoreau, que j’ai d’ailleurs encore dans ma bibliothèque malgré de multiples déménagements.
La narratrice nous raconte avec franchise mais pudeur son existence, de son enfance où à l’école un instituteur la surnommait « Lefèvre Inutile » par opposition à la marque de biscuits « Lefèvre Utile ». Malgré ses lacunes, qu’elle reconnaît, elle a réussi sa vie littéraire.
Un livre magnifique, pourtant loin de mes lectures habituelles. J’adore ce genre d’ouvrage, une écriture sans fioriture, mais belle, des phrases simples.
Une découverte qui ne restera pas sans suite…
Un très beau livre dans sa présentation et son texte.
Extraits :
- Voici bientôt cinquante ans, vous m'avez dit:
« Écrivez ! »
- Debout dans la brume, un châle sur les épaules, plus solide qu'une statue de pierre, plus éphémère qu'une statue de sel, je convie les mots d'amour qu'on m'a dit. Ceux que j'ai prononcés.
- Dans cette existence, rien ne vous invite à écrire. Tout bafoue, brutalise et broie l'écriture.
- J'ai toujours privilégié ce que je nomme la vraie vie à l'écriture.
- Les mots, il faut aller les chercher au-delà des miroirs. Au-delà de notre vie.
- On m'a dépouillée de tout, pillée, spoliée, affamée, mais je suis vivante.
- J'ai enfin une demeure. L'écriture.
- J'écrivais dans le métro, écrivais dans les cafés. J'écrivais partout où je le pouvais.
- J'ai tout de suite su que cet épisode compterait pour toute ma vie.
- Je pars à la recherche d'une phrase qui vient de m'échapper, mais il serait plus juste de dire que cette phrase me cherche.
- On devrait écrire la tête sur le billot. Dans cette apparente solitude je ne suis pas seule. Beaucoup d'âmes autour de moi.
Éditions : Jacques Flament (2021) .
* Visage d’un éditeur.
Jean-Jacques Pauvert.
Inventaire de l’oubli II.