JAOUEN Hervé / Le bon Docteur Cogan.
Le bon Docteur COGAN.
Hervé JAOUEN.
Note : 4,5 / 5.
Heures sombres sur les Monts d’Arrée.
Dans une note de l’éditeur, celui-ci nous rappelle que l’ambition d’Hervé Jaouen est d’écrire une vaste saga d’une famille bretonne.
Nous sommes au Huelgoat en 2018. Une cérémonie est organisée pour l’inauguration d’une plaque commémorant une famille, celle du Docteur Cogan, parisien qui s’était installé dans le Finistère en 1935.
Une remise de décoration au dénommé Gontran de Poumagar va déclencher la colère d'Yvonne Trédudon. Qui est ce personnage ?
Yvonne, fille de fermiers, va raconter sa vie à son amie Marie-Françoise. Elle a eu la chance d'être embauchée par les Cogan. Lui Emil est médecin dans le bourg de Plouvern. Il est marié avec Fanny et ils ont deux filles, Mathilde et Sophie.
Elle fait très vite partie de la famille, et est heureuse. Les années passent, Emil qui, au cours d'un accouchement difficile, a sauvé la mère et l'enfant a gagné le respect de la population des environs. Son cabinet est prospère, il apprend le breton pour être au plus près de ses patients. Un fils va naître qui aura comme prénom Youenn et dont elle sera la marraine. L'épidémie de grippe frappera aussi les Monts d'Arrée.
Mais un autre fléau plus grave sévira aussi dans le bourg, la peste brune...
Et le statut de la famille Cogan va brusquement changer. De gens respectables pour une partie de la population, ils vont devenir des parias. « Des Juifs ». L'abbé Cadic, prêtre, prêche l'alliance avec les allemands car, pense-t-il, la Bretagne deviendra indépendante le jour de la victoire des troupes du Reich. Avec les nobles du coin, il organise des camps militaires pour entraîner les jeunes recrues qui formeront la future armée bretonne.
La situation de la famille Cogan devient vite insupportable, toutes les vexations et brimades sont permises, malgré qu'une partie du village les soutienne. L'exode est un moment envisagé mais ils décident de rester. Ils déménagent à Morlaix, l'abbé Cadic est « liquidé » par les maquisards. La déroute allemande est proche… c'est l'heure des règlements de comptes, les résistants de la vingt-cinquième rejoignent les vrais combattants. Mais qu'est devenue la famille Cogan ?
Beaucoup de personnages : la narratrice Yvonne Trédudon, seule survivante de l'époque qui réside maintenant à l' EHPAD Mont-Leroux, Marie-Françoise Baraer, qui se dit simple copiste car c'est elle qui recueille les mémoires d'Yvonne. Témoignage des heures sombres de l'histoire de Bretagne.
Comme à son habitude, Hervé Jaouen se sert du breton, car c’était la langue de tous les jours dans cette campagne retirée.
En fin d’ouvrage, il nous parle du lieu imaginaire mais il souligne que « sa description emprunte à ces bourgs du Centre Bretagne dont la population a été divisée par trois, voir quatre, en un peu plus d’un siècle ». Constat hélas véridique ! Un endroit magique qui lui existe bel et bien « L'Autre Rive », librairie mais pas que, dans la forêt du Huelgoat.
Un peu de gastronomie pour nous rendre le sourire, la recette des galettes héritée des grand-mères : une forte proportion de sarrasin, de la farine de froment et du lait ribot pour lier la pâte. C’est le lait ribot qui leur donne leur moelleux… Le problème est que hors de Bretagne le lait ribot est quasiment introuvable !
Extraits :
- J'ai l'impression d'être plus jeune que ma fille. J'étais déjà enrôlée vers ma source d'eau de jouvence, le temps n'aurait plus de prise sur moi.
- On va à « l'Autre Rive » comme on va au temple.
- Des romans de l'Irlandais John McGahern, Yvonne a retenu la description d'un monde rural peu différent du sien, et elle a voué aux gémonies la figure du père, présent dans la plupart des ouvrages.
- … j'ai conservé telle quelle la façon de conter d'une vieille Bretonne, et tant pis si la grammaire française est quelque peu malmenée. Le récit y gagne en authenticité. Si besoin est.
- Mais ce nouveau docteur et sa femme étaient sûrement des gens chics puisqu'ils venaient de Paris.
- Mais, sais-tu, Yvonne, il y a pire que la tuberculose. Cela s'appelle la peste brune.
- En 1936 on a eu l'illusion que s'ouvrait en grand les portes du paradis des travailleurs.
- S'il y avait un sorcier c'était bien lui, ce rebouteux à la tête d'Ankou, avec la peau jaune comme le bec dans Merle et des ongles longs et crochus comme des griffes de blaireau.
- Ce sera la Bretagne et notre trou perdu des monts d'Arrée, où ils prendront notre chère Yvonne comme petite bonne.
- Sur le perron, à Ker-Tilhenn, les gendarmes balançaient d'un pied sur l'autre. Ils avaient deux papiers à remettre, un bon et un mauvais. Le mauvais, c'est qu'Emil n'avait plus le droit d'exercer.
- On allait s'asseoir à l'ombre du talus, quand tout d'un coup, comme dans un mauvais rêve des miliciens nous ont cernés, fusils pointés, en silence. Ils étaient une demi-douzaine, dans leurs tenues qui imitaient l'uniforme des SS.
Éditions : Presses de la Cité/ Terres de France (2019).