JOSSE Jacques / Liscorno.
Liscorno.
Jacques JOSSE.
Note : 4,5 / 5.
Une éducation littéraire.
Je rencontre parfois Jacques Josse dans les salons littéraires de Bretagne. Au fil de ces retrouvailles, nous nous sommes découverts certains points communs, le lieu de naissance très proche l'un de l'autre, et un goût commun pour la littérature de la "Beat Generation", Jack Kerouac en particulier.
La plupart des romans de Jacques Josse se déroule dans le Goëlo entre Paimpol, Brehec, Plouha et les environs.
Liscorno, village des Côtes d'Armor, se situe à l'intérieur des terres près de Lanvollon, donc pas très loin de mes origines paternelles.
Une enfance bretonne et littéraire, je pense qu'il y a pire dans la vie. Surtout quand la dite littérature est en plus un plaisir !
Les premières pages concernent l'arrivée au cœur de l'été 1958 du très jeune Jacques dans le village de Liscorno. Début d'une vie et d'une aventure.
La vie, ce sera plus tard dans le bistrot du bourg, les premières bières.
La lecture, ce sont les premiers invités prestigieux dans ce que l'auteur nomme "sa mansarde" en commençant par Tristan Corbière, qui, paraît-il, n'en est jamais ressorti ! Poète de la mer et de la mort que l'on retrouve dans l'imaginaire breton. Il sera suivi de nombreux autres poètes dits "maudits", Rimbaud, Baudelaire et Verlaine, la fine fleur des écrivains vagabonds.
Puis vient Kerouac, l'Amérique et les grands espaces découverts entre les les pages de ce livre culte qu'est "Sur la route", puis la découverte de ses compagnons de combats contre "l'establishment américain", Allen Ginsberg et William Burroughs, l'écriture contre la culture établie.
Je découvre dans ce livre des noms qui me sont inconnus, Lew Welch, (mort, mais dont on n'a jamais retrouvé le corps) Yves Martin ou Paul Celan, tous poètes que je vais essayer de lire.
La littérature d'outre-atlantique, Steinbeck, et les premières traductions de Raymond Carver entre autres, puis Brautigan, Bukowski et John Fante qui nourrissent l'imagination et la connaissance du Nouveau Monde.
Le temps des mobylettes (chose que l'on trouve encore parmi les personnes âgées) pour les transports de tous les jours. Les clients du café qui prennent un taxi pour Paimpol le samedi soir pour aller s’étourdir en ville ! Maintenant cela peut paraître étrange !
Le père qui, comme beaucoup dans la région, voulait être marin, mais sa santé ne lui permit pas, regrets éternels ? Un grand lecteur aussi, la pêche en rivière comme distraction, mais qui partait travailler à Brehat pour la semaine : mobylette pour Paimpol, la pointe de l'Arcouest, puis le bateau pour un travail d'électricien.
Les habitants du bourg, personnages pittoresques et parfois pathétiques, avec le bar comme deuxième domicile. Ropert et ses chevaux vite rebaptisés en poésie.
Le "Pélican" ou "Le Grand Cassé", quarante cinq ans, grand consommateur de vin rouge avec qui l'auteur lia connaissance en pissant ensemble. Il "partit des poumons" comme beaucoup à l'époque. Sa mère était surnommée par les voisins "Littérature" et lui était un lettré solitaire.
Gens de modeste condition qui peuplaient les bourgs bretons et animaient les bistrots de l'époque.
Un grand bol de nostalgie pleine de promesses, avec cette question, notre enfance ou notre environnement conditionnent-ils nos goûts littéraires ? Je répondrais oui, mais seulement dans une certaine mesure !
Une autre remarque me vient à l'esprit, pourquoi avons-nous en Bretagne gardé une certaine fidélité aux œuvres de Jack Kerouac ? La liste des écrivains parlant de celui-ci serait trop longue à dresser ici !
Un livre relativement court, moins de cents pages, très bien écrit....héritage de tous les grands écrivains cités ? Très certainement. Toutes nos routes nous ont menés à la littérature en prenant parfois des chemins détournés.
Une belle cure de jouvence.
Extraits :
- Il me suffisait de fermer les yeux pour sauter en un éclair des haubans du pont de Lézardrieux, à l'entrée de Paimpol, aux câbles orange du Golden Gate.
- Il arborait une mine sombre. D'ordinaire peu bavard, il devenait alors muet.
- Il ouvrait au couteau les territoires du deuil et de la mémoire. Ne croyait plus à l'aube.
- Les chevaux de leur imaginaire cavalaient alors à leur aise sur des chemins tortueux.
- Elle tenait en laisse, attaché court, une mémoire très perturbée.
- Ces taciturnes vivaient moins vite que ceux que je fréquentais dans mes zigzags littéraires. Ils foulaient des territoires plus restreints.
- Ces existences en lambeaux n'avaient rien à envier à celles que l'on présumait plus exotiques.
- Tous vacillaient sur terre. Ceux-ci chaloupaient du côté de Lannebert, Tréméven, Trévérec, Gommenec'h, loin des cafétérias de Brooklyn, des clubs de jazz de l'Hudson.....
Éditions : Apogée (2014).
Autres chroniques de Jacques Josse :
Le café Rousseau
Les buveurs de bière.