AYREAULT Sébastien / Loin du monde.
Loin du monde.
Sébastien AYREAULT.
Note : 4, 5 / 5.
Auprès de mon arbre...*
Sébastien Ayreault est né à Cholet mais vit dorénavant à Atlanta aux États-Unis.Contraste sûrement plutôt saisissant! Dans le prélude de ce livre, l'auteur nous dit la chose suivante :
- Sûr que l'on allait pas devenir grand-chose en restant là, mais sûr aussi qu'on s'en foutait.
Peut-on voir dans cette phrase de la sagesse ou de la résignation? La suite du livre nous le dira.
Maulévrier, un village, comme il y en à des milliers en France, des lotissements coincés entre les zones industrielles sûrement remplacées maintenant par des hypermarchés et des terrains de football. C'est là qu'habite David Serre, enfant qui nous raconte son quotidien. Les faits et les méfaits qui sont plutôt rarissimes à l'époque, le suicide d'un voisin. La vie de tous les jours, les repas familiaux, le père qui idolâtre Johnny Hallyday, l'omniprésence de l'église ; Dieu est partout, il voit tout, et parfois il vaudrait mieux qu'il soit aveugle! Les vacances à Saint-Jean-de-Monts, chez des grands-parents, la liberté et la plage, la rencontre inopinée avec une hollandaise nue prenant un bain de soleil. Sa peur irrationnelle de la solitude dans sa propre maison qui l'oblige à déjeuner dehors même en plein hiver. Ses copains, les coups donnés, mais aussi reçus. Les filles, les premiers émois amoureux, la découverte d'un livre de photos osées au dessus du frigo de ses parents. Le prochain départ du père qui a trouvé du travail à Angers, la prochaine naissance de la petite soeur...la roue tourne car les déplacements se font essentiellement en vélo. Les accrochages avec la mère durant l'absence du père.
Et un jour, la colère de trouver une voiture inconnue devant la maison et d'apercevoir, alors qu'il s'avance en catimini, sa mère en petite tenue et les fesses à l'air...Haine....et vengeance !
Mais la véritable haine viendra plus tard, car la vie est parfois cruelle.
Des personnages à foison dans ce roman, à commencer par la famille de David Serre, le narrateur, dont nous suivons l'apprentissage de la vie dans un village de la France profonde. C'est dure la vie, tout est démultiplié, les joies sont profondes les déceptions sont un abysse de tristesse, mais chaque situation est une leçon.
µLa mère, Marie, qui travaille chez un imprimeur, est sous antidépresseur et plutôt sévère , le père, Serge, employé comme mécano est plutôt "bonne pâte" laissant filer pas mal de choses...faut bien que jeunesse se passe. L'arrière-grand-mère, Olga, bloc de haine, qui habite tellement près du cimetière que David est saisi par la peur à chacune de ses visites.
Les amis de la famille, copains d'enfance et de bals populaires du père bon vivant et buveur parfois. Les copains de David, Carrera qui est le prototype parfait du proverbe « grand, fort et bête", Galopin enfant d'une famille misérable, Fred un autre confrère de parties de foot, les filles, Annie en particulier, qui le fera passer en quelques jours du paradis en enfer. La cousine, puis la voisine plus âgée et beaucoup plus délurée qui lui ouvrira des horizons nouveaux, et l'amènera des photos en noir et blanc au grandiose spectacle de la féminité en grandeur nature!
Bref le microcosme d'une France qui parait très ancienne vue à travers le regard d'un enfant en quête de vérité.
Un livre rafraîchissant, aux odeurs de terroir, aux senteurs de Ricoré ou de Ricard.
Une jeunesse qu'ont peu ou prou vécu tous les enfants élevés dans le monde rural d'alors.....ce qui fait dire à beaucoup d'entre nous que c'était mieux avant, et pas forcément d'une manière objective.
Cette lecture m'a fait penser au roman canadien de Marie-Claire Blais" Une saison dans la vie d'Emmanuel".
Extraits :
- Problème d'argent, problèmes de couple, les gens racontent un tas d'histoires en rentrant des enterrements.
- ... et quelque part, dans un souvenir de chaise longue, deux jambes ouvertes et au milieu,
plein de poils.
- Marie Morgane, la fameuse fée bretonne qui me sauva des eaux ? Qui me guida ce matin-là?
- Je peux vous le dire, mon arrière-grand-mère, c'était Céline. La haine du monde, la haine des petites gens, la haine tout court.
- Les gens, c'était des cons.
- Et puis c'est fini cette époque où tu nais, tu travailles et tu meurs dans le village de ton enfance. Le monde est grand. Faut-y aller voir.
- Le père Chiron va rejoindre son cabanon fraîchement huilé, s'en va prendre ses jours au bout d'une corde,
fin
- Sa fille était restée sur le trottoir d'en face, plantée comme une tige brune dans le goudron.
- J'avais 10 ans et je m'étais perdu dans le triangle des filles.
Éditions : Au Diable Vauvert (2013).
* je vivais heureux, j'aurais jamais dû m'éloigner de mon arbre.
Georges Brassens.