FOURIER Claire / Les silences de la guerre.
Les silences de la guerre.
Claire FOURIER .
Note : 4,5/ 5.
Les silences et les non-dits....
Troisième lecture de cette auteure bretonne, après « Métro Ciel » et « Je vais tuer mon mari ». Ce livre est un hommage à l'oeuvre de Jean Vercors, écrite il y a soixante dix ans « Les silences de la mer ».
Nous sommes dans le Finistère au bord de la mer, en 1943. Glaoda, jeune fille de vingt ans étudiante à Rennes dont les cours sont suspendus rentre à Gwitalmézé près de Brest chez son père veuf. Là-bas, comme partout, l'occupant prend ses quartiers et parfois pour ne pas dire souvent ses aises !
Les relations entre Glaoda et Hermann semblent couler de source, elle jeune fille en éveil, lui plus mûr mais les deux sont des érudits et beaucoup de choses les rapprochent. Par contre la tension entre le père et l'officier allemand est très finement analysée, la méfiance réciproque entre les représentants de deux pays en guerre, l'un est l'occupant l'autre l'occupé sur ses terres et dans sa propre demeure. Aucun des deux ne voulait cette guerre, mais ils doivent la subir avec plus ou moins de désagréments. L'un est résistant, l'autre le sait et doit même l'arracher des griffes de la Gestapo ! La résistance bretonne s'organise et s'intensifie, la mort de l'abbé Perrot pose bien des interrogations et jette des militants extrémistes bretons dans les milices nazies. Les troupes russes et ukrainiennes remplacent les soldats allemands jugés trop laxistes, mais la vie malgré toute ces contraintes continue hélas à tous points de vue de plus en plus difficile....
La guerre hélas reprend ses prérogatives.... l'Allemagne nazie est vaincue, les résistants de la dernière heure paradent et tuent......
Glaoda Ruzcoat jeune fille que rien ne prédisait à connaître un si grand amour dans des conditions pour le moins difficile ! Les frontières séparent mais l'art et la mer réunissent. Un personnage très attachant et fort malgré les circonstances.
Son père veuf, vétérinaire, résistant, avare de paroles mais qui au contact d'Hermann devient plus loquace, il n'en reste pas moins très mystérieux, sa fille pensant même à une maitresse pour expliquer ses absences nocturnes !
L'officier allemand Hermann Christaller qui aurait pu être né suédois, l'histoire l'a fait naitre allemand, anti-communiste viscéral les ayant vu à l'oeuvre dans les pays Balkans, il n'est pas nazi, juste un homme instruit perdu dans une guerre qui le dépasse. Il rêve d'un monde meilleur, un endroit de paix et d'amour, en ces temps troublés. C'est surtout un artisan, un homme de travail pas de guerre il parle avec beaucoup d'admiration du peintre Caspar David Friedrich et Gloada de l'artiste suisse Charles Cottet qui a beaucoup peint la mer.
C'est très bien écrit, plein de finesse et de pudeur, l'histoire qui pourrait-être banale, une jeune fille succombant au charme du « locataire » allemand est une situation connue et souvent décrite en littérature.
A noter, quelques pages en italique qui concernent l'aspect historique de la guerre dans la ville de Brest, le rôle de la STO et de l'Organisation Todt dans la vie quotidienne des Brestois pendant ces temps troublés avec en plus les raids de l'aviation anglaise et la construction du Mur de l'Atlantique. Mais parfois les notes sont plus personnelles, comme un autre regard sur l'histoire avec un H majuscule mais aussi sur ce qui semble être des souvenirs anciens.
J'ai beaucoup apprécié ce livre car il m'a donné envie de faire des recherches sur plein de domaines différents, le duché de Poméranie par exemple, balloté au gré de l'histoire, tour à tour Danoise, Suédoise, Allemande, Russe , Polonaise! La peinture, les écrivains et philosophes sont également souvent évoqués, ainsi que le massacre de Katyn, dont on découvre seulement maintenant une part de la vérité.
J'aime beaucoup la phrase d'Hermann disant à Glaoda:
-Je te montrerai mon pays dans ton pays.
Extraits :
- « Regarde bien, Glaoda, disait mon père, où que tu ailles tu ne verras rien de plus beau, rien de plus somptueux. »
- Cela me rappelle mon pays.... décidément tout ce pays me rappelle le mien, dit l'officier sans me regarder.
- Ma grand-mère était une femme vive, pleine de fantaisie, un tantinet extravagante.
- La plus grande intelligence consisterait à ne pas faire la guerre du tout, lançai-je.
Hélas, « le paradis est à l'ombre des épées », Mademoiselle.
- Chacun était agacé et intéressé par l'autre.
- Je vous l'ai dit vous le voyez : je suis un travailleur manuel..... j'ai été recruté dans le génie.... Je ne suis pas de la Wehrmacht, et encore moins de la police.
- J'étais une Bretonne de vingt ans pleine de mystère. J'étais fraîche et pleine de santé. J'étais bonne cavalière.
Surtout j'étais amoureuse.
- La mer d'Iroise et la mer Baltique brassaient les mêmes flots, soulevaient les mêmes vagues, et nous commandaient d'y nouer notre destinée.
- La Gestapo est une police ordinaire, monsieur Ruzcoat, mais la Wehrmacht est une armée....ni plus ni moins d'honneur que dans une autre armée.
Éditions : Éditions Dialogues (2012)