EMERY Alain / Les Porcelaines.
Les Porcelaines.
Alain EMERY.
Note : 4 / 5.
Attention ….fragilité.
Recueil de 21 nouvelles d'un grand spécialiste du genre, et ce style littéraire n'est pas le plus simple, alors dégustons.
Un homme sur une terrasse, son domaine.....son royaume pour un cheval.....sûrement....il s'est détaché un jour de sa vie..... Il est heureux. Une femme veille sur lui....un très beau texte. « Cavale », la musique, un air fredonné, des notes qui semblent écrites pour nous. Qui accompagne cette femme marchant sur la jetée pour rejoindre le bruit de la houle, Mozart, Satie, Wagner, Beethoven personne ne le sait à part elle-même. « La face nord des tombeaux » dans le cimetière des vanités, œuvres monumentales pour quoi et pour qui ? La sagesse populaire ne dit-elle pas que l'on n'emporte pas sa fortune dans sa dernière demeure...Cet argent gagné à quel prix ? La vie est dure pour cette femme, jadis belle, riche, méprisante.....l'eau a coulé sous les ponts, le fleuve des ans ne l'a pas épargnée, bien au contraire le mépris est devenu supplication. Du champagne dont elle ne buvait que la moitié de sa coupe, au vin blanc sec qu'elle est obligée de mendier, grandeur et dépendance. « Les géomètres » qui pensent que la géographie est une science exacte se trompent, surtout quand les sentiments humains sont en jeu. Enfin parfois l'amour, contrairement à l'argent, a une odeur et même un parfum. Que reste t-il des apparences dans un village lorsque la nuit est tombée, dans le noir le riche et le pauvre marchent parfois côte à côte, chacun avec ses craintes et ses doutes. Vanité et cimetière encore dans « Trois barrettes », un homme ayant loupé sa vie ; il tient, avec un ordonnancement tout militaire, à réussir sa sortie. Mourir en grand uniforme sur son lieu de travail ! On peut mourir assassiné par une jeune femme et de ce fait devenir un martyre....mais où est la vérité, noyée dans l'encre d'un journal ? Un vieil écrivain qui reçoit de la visite, mais il n'est pas dupe, texte très touchant !« Ces derniers feux » la vieille dame et son gigolo....les protagonistes connaissent les termes du marché tacitement conclu....alors laissons la morale un peu de côté ! Scènes ordinaires « Au café de l'horloge », un notable condescendant tutoie un vieil homme de couleur.....et pourtant, l'un collaborait avec l'occupant, l'autre se battait pour chasser l'occupant.
Beaucoup de portraits de gens un peu au bord du gouffre, un couple, l'âge venu, la femme toujours aimante, une autre femme mystérieuse qui semble fuir le monde....qui est-elle....toutes les suppositions sont avancées. Des hommes et des femmes, plutôt d'âge mûr, un peu blettes parfois, l'existence n'a pas toujours été simple pour eux. Un saint d'un genre un peu particulier, pétoire sur l'épaule et chiens de chasse en laisse, beaucoup de bruit pour rien. Une infirmière en chef se réfugiant derrière une façade autoritaire, le trio homme femme et bateau, et l’espérance dans tout cela ? Un Auguste pas très auguste, mais laissons vivre la légende. Un mécanicien comédien, un monsieur Raphaël mystérieux et philosophe, une femme peintre sont aussi des personnages rencontrés dans ce recueil. Une écriture ciselée, presque minimaliste, rien n'est en trop, mais rien ne manque, la précision absolue. Ces nouvelles très brèves ne sont pas noires, ni roses, ni bleues, mais grises comme la vie, gamme allant du gris pale au gris anthracite. Des destins avec parfois une éclaircie, car avec parcimonie un petit rayon de soleil vient illuminer le ciel et la terre. Un registre différent des autres ouvrages d'Alain Emery, plus classique dans le fond, moins sombre que « Gibiers de Potences » par exemple.
Extraits :
- Il a sous le nez de quoi fumer jusqu'à la nuit et, à portée de main, une carafe de vin de soif. C'est un roi sur sa terrasse.
- Chacun de nous abrite une harmonie, un sillon intime qu'épouse par miracle le solfège de parfaits inconnus.
- Que lui doit-on, au juste, à cet homme ? Rien qui mérite une cathédrale : il ne laisse derrière lui qu'un bas de laine.
- Qui, de l'alcool ou des barbituriques, gouverne toutes ces tringles invisibles reliées à ses joues ?
- Elle avait beaucoup perdu mais pouvait tout de même, d'un battement de cils, d'un soupir de poitrine, allumer sur son passage des feux surprenants. Aucun homme n'était de taille à lui résister.
- Si j'entrais dans le détail, vous finiriez par dresser autour de cette caricature les piliers branlants d'une parabole. Le puissant sur son trône, le misérable à ses pieds.
- Le troupeau a bien entendu beaucoup plaint la victime. C'est une manie.
- Il n'est plus de ce monde depuis bientôt quarante ans mais on se dispute encore beaucoup à son sujet. Pour un peu on s'arracherait les yeux.
- Le venin nous a tenu chaud. Qui pourrait nous en blâmer ?
- Un accord conclu sous les draps. Elle ferme les yeux, efface les ardoises et lui souffle sur les braises.
- Ici, il était avant tout question de belotes et de canassons, l'alcool étriqué et de parties de football.
- Pourtant, quand nos regards se croisent, le mien se dérobe. Je ne suis pas de taille. C'est une petite châtelaine.
Éditions : JFE (Jacques Flament éditions) 2011.
Autres chroniques de l'auteur.
Canaille & Compagnie.
Divines antilopes.
Gibiers de potence .