JACQ Angèle / Les braises de la liberté.
Les
braises de la liberté.
Angèle
JACQ.
Note
: 5 / 5.
Le
Pays et l'autre Pays *
J'ai
beaucoup apprécié qu'Angèle Jacq soit nommée « Présidente »
du salon du livre de Bretagne à Carhaix. Je pense que cette
nomination est très méritée à plusieurs titres, pour son travail
d'écriture bien évidement, pour son engagement dans la défense de
la langue bretonne, et à titre personnel, pour sa gentillesse, à
chacune de nos rencontres. Ce roman, dont sera tiré prochainement un
film, est la réédition d'un livre paru en 1995 et le début d'une
série en plusieurs volumes, dont le second vient d'être publié. Ce
récit est basé sur des faits historiques, l'auteur se référant
souvent à l'ouvrage de Pierre Hamon : « Pêr Briand, député.
Histoire d'une famille paysanne de Cornouaille », édité par
la Société Archéologique du Finistère en 1963.
Nous
sommes à Brieg, (Finistère, ou Penn ar Bed, La tête du
monde en breton, ce qui ne manque pas d'humour!) dans les années
1780, celles qui verront la révolution couver à petit feu, attisée
par des conditions climatiques déplorables qui, après quelques
temps de disette au fil des ans, mettent la population rurale au bord
de la révolte. Et vient le temps de la famine.
Pêr
se marie avec Katell Jacq, jeune veuve déjà marquée par le destin.
En plus de son mari, elle a en effet perdu deux enfants, il lui reste
la petite Mari (sans e). Il entre également en politique choisissant
son camp, celui des paysans et des travailleurs ; il milite pour la
convocation des états généraux, contre le régime féodal au
grand dam de la noblesse et de la bourgeoisie provinciales. Et en
cela il ne se fait pas que des amis.... De l'autre côté de
l'Atlantique, les futurs Américains ont fait plier l'ennemi héréditaire,
l'Anglais, des marins bretons en sont revenus et ils racontent.
Et
la révolution éclate à Paris, avec de multiples répercussions
partout en France et bien sûr en Bretagne, qui du fait de son statut
particulier va déclencher des réactions très vives dans la
population, par exemple le sujet épineux de la religion. Et
également la perte des franchises, et le sentiment que dorénavant
les autres décideront pour eux.
Le
pouvoir va changer de mains ; de l'aristocratie, il passera dans
celles de la bourgeoisie, et le monde paysan tentera de prendre la
parole. Ainsi naîtra le destin de Pêr Briand......
Il
sera élu député, ira à Paris, capitale de l'Autre Pays, tenter de
défendre les acquis bretons, ainsi que le monde paysan, laissant
Katell assurer la bonne marche de la ferme. Mais avec une certaine
candeur héritée des lois celtes, en particulier la parole donnée,
le monde de la politique et la bourgeoisie parisienne n'avaient déjà
pas ces états d'âmes. Et l'on peut malheureusement constater que
cela ne s'est pas amélioré pour ne pas dire que cela a même
fortement empiré (humour involontaire!).
Ce
livre ce termine par un terrible constat d'échec :
-La
révolution était finie, bien finie.
Pêr
Briand, paysan, mais instruit, ce qui pour l'époque est extrêmement
rare. En plus c'est un homme de conviction, combatif, mais plein de
sagesse. Il représente une forme rare d’honnêteté culturelle et
intellectuelle. Il accepte malgré les suppliques de son épouse la
députation avec tout ce que cela comporte de sacrifices sans penser
à une carrière dans la politique, ni à un quelconque
enrichissement personnel. Autre temps, autres mœurs! Mais en se
faisant, il se coupe de ses amis et voisins et se retrouve dans une
position peu enviable, de renégat pour les deux camps qui vont
s’affronter. Il adhèrera aux idées des Fédéralistes, déçu
par la répression Républicaine et les excès de la Chouannerie.
Katell
Jacq son épouse, le soutiendra toute sa vie ; il ne fut guère
tendre avec elle. Mais quelle vie avaient les femmes de l'époque, et
Katell était pourtant une privilégiée avec un époux aimant, mais
pour les autres.....Ils représentent ainsi que leurs voisins et amis
une société de gens simples, solidaires allant à l’essentiel,
loin des fastes et des frasques des nantis et des notables ou d'une
noblesse ruinée, mais dépensière. Mais la révolution va changer
ce monde et la mentalité des gens. L'avidité de beaucoup apparaîtra
au grand jour.
Fidèle
à son habitude, Angèle Jacq nomme les gens et les lieux en breton,
Kemper (Quimper) Plonevez ar Fao, (Plonevez du Faou), Naoned
(Nantes), Roazhon (Rennes) ou pour les noms propres Fañch
ar Bars par exemple. Souvent également les noms de famille sont
suivis de la ferme où ils résident, Fañch
de Kêrgouelou ou Youenn de Kaod Koenn.
Au
cours d'une conversation avec l'auteur, elle m'expliquait la
difficulté de la double correction qu'apportait le bilinguisme,
français et breton, dans la plupart de ses romans.
Ce
livre, en plus de son épopée romanesque (qui n'est pas si
romanesque que cela d'ailleurs), décrit les contradictions de
l'époque surtout dans le cadre du particularisme de la Bretagne vis
à vis de la France. Car si dans l'ensemble la révolution a beaucoup
apporté au point de vue des libertés, paradoxalement la Bretagne,
elle, a énormément perdu** avec par exemple la suppression du
Parlement de Bretagne. Institution qui garantissait une certaine
pérennité, les lois devaient obligatoirement avoir l'aval de ce
parlement pour être appliquées en Bretagne. Et l'idée d'être
gouverné par la capitale de l'Autre Pays n'a pas été acceptée de
gaité de cœur. La Révolution française avec un autre regard, loin
de Paris et de la version scolaire.
Merci, Angèle pour ce regard
sur cette page de l'histoire de Bretagne.
Extraits
:
-
L'exigence de la Constituante choquait ces paysans qui, en matière
de droit, s'en tenait aux droits celtes de la parole donnée. Cette
loi était sacrée, point n'était besoin de jurer.
-
C'est la loi, c'est le roi de l'Autre Pays. Ce n'est pas la loi de ce
Pays. Que dit le parlement de Bretagne ?
-
Au-delà des mots, ils parlaient la même langue, celle de la misère
humaine à faire reculer.
-
Il leva la main et prêta serment d'abord en breton, puis en
français.
-
Une lettre de Paris, de l'Autre Pays, songez donc !
-
Et suprême injure : « penn gallek ! »-«
Tête française ! »
-
Si nous avons un pays à défendre c'est celui-ci, pas l'autre.
-
Quand donc s'arrêterait la folie venue de l'Autre Pays ?
-
Ce Pays s'est toujours administré lui-même. C'est ça qui ne passe
pas.
-
Et la loi, c'était « l'Autre Pays ».
Éditions
: Coop-Breizh (2010).
*L'auteur
dans son avant propos, nous explique ce titre de cœur.
Autres
chroniques sur ce blog :
Le
voyage de Jabel.
Ma
langue au chat.
**On
peut à ce sujet lire l'excellent ouvrage de Mona Ozouf :
Composition française.