KERNAONET Jeanne-Marie / Il est mort le fournil.
Il est mort le fournil.
Maro An Ti-Forn.
Jeanne-Marie KERNAONET.
Une âme et un secret.
Note : 5 / 5.
J'ai dans ma bibliothèque quelques livres sur la Bretagne que j'ai pour la plupart lus il y a très longtemps. Ces œuvres ne sont en général pas des romans, mais plutôt des « Mémoires » dans lesquelles des femmes ou des hommes racontent leurs vies. J'ai voulu leur rendre hommages en intitulant une série de chroniques "Mémoires de Bretagne". J'inclurai dans cette série des œuvres déjà lues et chroniquées précédemment. Ces textes me font immanquablement penser à Peig Sayers et Tomàs O'Criomhthain, auteurs irlandais dont les récits eurent un retentissement international. Très souvent, ce sont des personnes âgées, ici l'auteur a soixante dix-ans, qui écrivent ces livres.
Je commence donc par cet ouvrage, qui, en plus, est celui qui certainement se déroule le plus près de mon lieu de naissance, moins de dix kilomètres, mais avec deux modes de vie très différents malgré la proximité. D'ailleurs dès les premières lignes, l'auteur fait le constat suivant :
"Les Paimpolais et autres gens de la côte nous prenaient pour des "retardés", des "demeurés".
Ce récit est divisé en trois chapitres principaux :
1) Une petite orpheline en pays inconnu.
2) La Bretagne d'autrefois racontée au coin du feu.
3) Yvias pendant la guerre 1914/1918.
L'auteur, âgée de quatre ans, qui habitait Lorient, revient habiter à Yvias suite au décès de son père. Sa jeune soeur, Denise, vit chez des cousins à Plouézec. Le moins que l'on puisse dire est que le choc est rude. Elle rejette tout, le monde paysan qui l'entoure, la tristesse ambiante et surtout cette langue qu'elle ne comprend pas! Seul rayon de soleil, la Mamm-goz Henriette et la chaleur du fournil. Entre l'enfant au caractère bien trempé qui a décidé de laisser le breton aux campagnards et la grand-mère dont c'est la langue maternelle, un jeu et une complicité réciproque s'installent. Le nom de la famille s'est au fil des temps transformé, de l'ancêtre Tasse Jean-Yves « Fournier » en 1850 ou alors Taz ou encore Yann Loeiz Tazick, la terminaison « ic » ou « ick » signifiant petit. La licence pour le fournil « Ti-forn » était dans la famille depuis, environ les années 1790, et s'est arrêté en 1920 sous sa forme initiale. Un long chapitre est consacré à la révolution et ses répercussions surtout religieuses. L'auteur parle aussi de la pratique de la langue bretonne, et de son refus, enfant, de l'apprendre, puis de son changement d'attitude. Elle évoque aussi ce sentiment d'appartenance à un clan, à une communauté, que l'on retrouve dans les traditions celtes.
Les veillées sont un des rares moments de détente, elles attirent parfois jusqu'à quarante personnes autour du fournil, mendiants et voisins compris. Les nouvelles sont colportées de bouche à oreille ; certaines deviendront au fil des siècles des contes ou bien des légendes. Le déshonneur est une notion que l'on retrouve comme une constance dans la vie des campagnes bretonnes. Honte d'être vue sans sa coiffe, « en cheveux », de vouloir paraître d'un autre rang social que le sien, ici pour Henriette c'est de ne pas être à sept heures, pelle en main, à enfourner le pain!
La vie quotidienne, les femmes qui viennent faire cuire leurs plats ou les pains familiaux, ce sont des métiers aujourd'hui disparus, la repasseuse de coiffe, la barbière, chose surprenante ! C'est aussi Marie, la pêcheuse de moules, partant au petit matin poussant sa brouette, vers la pointe du Minard ou Brehec, et vendant sa pêche au retour, vie harassante que celle là! Paimpol n'est pas loin, ici aussi les « Islandais » font partie de la vie locale. Grand-Mère Henriette créera un pain spécial pour les longues traversées, et comble de reconnaissance, Pierre Loti parle d'elle dans son roman « Pêcheurs d'Islande ». Comble de modestie, elle refusa que son nom soit cité ! J'ai appris certaines pratiques du temps passé par exemple que les cendres du fournil était vendues, comme lessive, et que l'on s'éclairait aux chandelles de résine.
Les guerres et leurs cortèges de malheurs et de privations, un homme absent sept ans de chez lui sans donner de nouvelles que ses parents croyaient mort! Les pardons et pèlerinages en espérant un monde meilleur. Et le temps passe, les études à Saint-Brieuc et la découverte, le retour vers un autre mode de vie.....
Mamm-goz Henriette fait partie avec d'autres grands-mères, (la mienne c'était Alexandrine) du monde des adultes, mais représente une autorité différente, plus à l'écoute, et ici elle transmet ce que l'école n'enseigne pas. La langue, l'histoire locale, la vie des saints bretons grâce à« Buhez er Zent », souvent le seul livre de la maison avec celui de messe! Personnage emblématique de nombreuses enfances bretonnes, pratiquement toujours veuve, elle aidait et parfois suppléait les parents, car les hommes étaient en mer et les femmes aux champs.
L'écriture de ce genre d'ouvrage est simple, donc d'un abord facile ; ce qui peut sembler déroutant lorsque le lecteur aborde ce livre, c'est l'usage du breton. Il y a en particulier quelques lignes consacrées aux noms des plantes et leurs significations qui démontrent que les noms n'étaient pas dûs au hasard, mais à une certaine observation de la nature et à l'usage qui était fait de ces plantes!
Un peu d'humour parfois, un homme que tout le monde nomme « Premier » ! La narratrice alors enfant s'interroge, saint Premier lui est inconnu!
Un des plus beaux livres sur la Bretagne que j'ai lu, certainement celui qui m'a le plus touché et dont je me suis senti le plus proche. L'évocation de la place du Martray à Paimpol et d'un grand-père né à Langoat où est née ma grand-mère, ne pouvait pas me laisser indifférent. Je prendrai le temps de m'arrêter à Yvias durant mon prochain séjour à Paimpol.
Extraits :
- Qui sont ces gens qui parlent une langue rude que je ne comprends pas ?
- Oui, me répondit-elle, tu vivras désormais avec eux. Ce que tu appelles des paysans sont des nôtres : famille, amis, voisins.
- … j'essayerai d'oublier ma révolte et ma haine de ce pays.
- C'est leur langue et tant pis pour moi ! Mais je me sens irritée et vexée.
- J'aurais pu mais je tenais ferme au personnage que je m'étais créé, de petite bourgeoise qui méprise les campagnards bretonnants.
- Quant au caractère, il est fait d'une seule pièce, d'un bloc de granit inattaquable. Et puis, trop de susceptibilité pour se supporter les uns les autres !
- Celui qui inventa Bécassine, j'eusse aimé lui dire deux mots.
- Tous les ans on scalpait une partie de la lande pour faire ce que l'on appelait en breton « mouled brug » (des mottes de bruyère).
- ..et des assiettées de craquelins de Lanvollon pleins de beurre à ras bord.
- Rougissante, le cœur battant, je me surprenais à dire de temps en temps moi aussi : «Blaovez mad », mais personne ne remarquait mon effort.
- Euz ar mor e teu arc'hant. (De la mer il vient de l'argent).
- Les chemins bretons ne sont fantaisistes que pour le poète.
- Guigamp! Les voyageurs pour la direction de Paimpol et de Carhaix changent de train.....
- Et puis, il y a aussi mon pays breton.
Éditions : Mémoire vive. Éditions Seghers ( 1980)