POULIQUEN Louis / Les marées d'équinoxe
Les marées d'équinoxe.
Louis POULIQUEN.
Note : 5 / 5.
Voyage ultime, le trépas!
J'ai fait la connaissance de cet auteur au salon des écrivains bretons de Carhaix. J'avais beaucoup apprécié sa gentillesse, avant de découvrir ses qualités d'écrivain en lisant « Mon vieux grenier en Bretagne ». Je poursuis ma découverte avec cet ouvrage « Les marées d'équinoxe ». C'est un livre bouleversant qui raconte le combat perdu d'avance d'une femme et de son entourage contre le cancer.Jacques, le narrateur de cette histoire, nous parle avec pudeur et retenue de sa vie, en particulier d'un été dans leur maison de campagne près de Roscoff, sur la pointe de Sparfel. Son épouse, Line est persuadée du décès de leur fils Nicolas, qui ne donne plus de nouvelles depuis très longtemps. La dernière carte postale reçue de Bombay était très énigmatique : « Enfin l'Inde!!! »
Alors, Line lit et relit tout ce qui touche à ce vaste pays, entre en contact avec le consulat de France, décide de partir chercher son fils, mais hélas, le voyage est un fiasco, elle se rend compte de l'inutilité de son voyage et de ses recherches! La famille rentre en France et à bout de force, Line décide d'arrêter son traitement, malgré l'avis de Valmaure, son médecin et ami de longue date. De l'Inde, où ils ont gardé des contacts avec les autorités françaises, certaines nouvelles arrivent, la montre de Nicolas a été découverte au poignet d'un Néerlandais décédé, semble t-il, d'une overdose! Jacques y voit une raison d'espérer, Line, une raison supplémentaire de se persuader de la mort de son fils. Commence alors le récit de la vie de tous les jours, rythmée par une multitude de petites choses, les visites des Valmaure, les lettres du consul de France, les promenades de plus en plus contraignantes. La santé de Line se détériore, mais le combat est pour elle fini depuis qu'elle s'est persuadée de la mort de Nicolas, perdu dans cet immense pays qu'est le sous-continent indien.
Les personnages sont des gens ordinaires, malgré des situations sociales élevées dans le monde de la médecine, ils n'oublient pas la modestie de leurs origines.
Line est en profonde osmose avec « Le vieux pays », elle le ressent intimement, ce que ne comprend pas toujours son mari. Elle se remémore son enfance bretonne, ses parents, sa mère très religieuse. On sent en elle certaines contradictions, elle ne prie plus, mais assiste avec foi aux pardons, même quand sa santé décline. Un très beau personnage.
Le narrateur travaille dans une clinique, il n'est pas dupe des efforts de son épouse pour garder un reste de vie en elle, ainsi qu'une certaine coquetterie. Il respectera la décision de son épouse de ne plus se soigner, et tentera de soulager ses souffrances. Il lui fera, à sa demande, la promesse de ne pas se remarier.
Nicolas fut, dès sa jeunesse, un être aux multiples facettes, parfois brillant, souvent irritant, malgré un certain confort matériel, il abandonne une vie classique pour des années d'aventure, sorte de voyageur des temps modernes.
Les Valmaure, lui médecin, est l'ami, le confident. Mais malgré tous ses suppliques, même aidé en cela par son épouse, Line ne veut plus lutter. Il sait très bien que malgré tous leurs efforts, thérapie ou pas, l'issue est fatale, mais par devoir il tentera jusqu'au bout de faire fléchir Line.
Berthe, qui aide le couple, est une vieille fille des environs. Jacques, Line et Nicolas représentent la famille qu'elle n'a pas eue. Avec Line, elle partage l'amour de la terre natale et de ses secrets. Pour elle, les marées d'équinoxe sont des moments de peur et de maléfices. Elle représente un certain bon sens paysan et une religiosité mêlée de croyances anciennes.
Un très beau livre, Louis Pouliquen sait très bien de quoi il parle. Il fut de très nombreuses années chef de clinique à la faculté de Médecine de Paris. Mais avec tact, il évite le piège du mélodrame pour donner beaucoup de vérité à son texte.
L'auteur n'oublie pas la Bretagne, celle des terres, des Monts d'Arrée, des pèlerinages et des enclos paroissiaux. Deux chapitres d'ailleurs ont pour noms « Cantiques en Terre Sainte » et « Cantiques à Sainte Barbe ». L'auteur a un très beau nom, qu'il emploie souvent pour ce lieu : « Le vieux pays »
Ce roman est très différent de « Mon Vieux grenier en Bretagne », ici le propos est plus grave, la mort est le personnage central de ce récit. Un très grand livre qui m'incite à continuer la découverte de cet auteur.
Extraits :
- C'est la fin, toute proche. Nous marchons vers elle.
- C'est une fuite de Line vers notre maison de Bretagne qu'on appelle le Presbytère, vers sa maison, pour y trouver refuge, s'y cacher et mourir.
- Ces noms qu'aujourd'hui nous taisons. Bornes noires sur la route de notre défaite.
- Pour Nicolas, nous sommes de la race de ceux qui, toujours, restent à quai.
- «Tu ne peux pas comprendre ! » disait Line, avec ses inflexions d'accent breton qu'elle retrouvait dès qu'elle mettait le pied sur ces terres. « Tu ne peux pas comprendre. Tu n'as pas de racines. »
- Le temps était doux, humide, gris, breton, entre deux tempêtes.
- Mer en majesté ! Divine nature !
L'abbaye, les Monts, les enclos... il existait entre Line et ce coin de terre une symbiose extraordinaire. Des liens qui dépassaient la raison, une sorte de cordon ombilical par lequel la vie, depuis que Line était venue au monde, n'avait cessé de couler en elle. Là où, disait-elle, palpitait le pouls du vieux pays, là aussi était son coeur.
- Line me découvrait la Bretagne intérieure, grise, secret, désertique, profonde, mortuaire. Je le répète c'était en novembre sous un ciel bas.
- « Ma mère... mon père.. »Et la silhouette des parents se profilait dans l'ombre de la chambre.
-« Ils m'aimaient... ils étaient simples. Ils étaient pauvres... Mais près d'eux, j'ai été si heureuse!»
- C'était la fin. « Elle a tout moissonné », aurait dit Corentin Malgorn qui parlait de la vie en termes de récolte.
Éditions : Coop Breizh 1997/ Coop Breizh (Poche) 2007.
Autre chronique de cet auteur :
Mon vieux grenier en Bretagne.
