Le TELLIER Hervé / Sonates de bar.
Sonates de bar.
Hervé Le TELLIER.
Illustrations de Yoko UETA
Note : 4 / 5.
Le cocktail du Maestro!
Une centaine de courts écrits, une page et demie en moyenne. Dans pratiquement tous les titres, nous trouvons le nom d'un cocktail! Ce qui me laisse perplexe, car je ne savais pas qu'il y avait tant de mélanges possibles dans les boissons ! Moi, pour qui le Kir est déjà une invention du Diable (Pardon, du Chanoine!).
Un petit mot sur l'auteur, il est membre de l'Oulipo, et la première version de ce texte comportait initialement deux mille caractères par « sonates ».
La première phrase du livre, qui sert d'introduction, donne le ton : « Le ciel est trop haut, la terre est trop basse, le bar est juste à la bonne hauteur ». Anonyme.
Rencontrons les piliers du bar et de leurs histoires, Jay, Archie, le pianiste noir, et Rose, la serveuse sûrement blonde et mignonne!
La vie de tous les jours au Jay's Bar, où le patron, expert en cocktails, officie avec dextérité derrière son comptoir.
Angel est le personnage principal de « Le Barbotage la Mangeuse d'hommes ». La poitrine d'Angèle fait que tout homme en sa présence ne sait plus à quel sein se vouer! Son accompagnateur de ce soir n'échappe évidemment pas à la règle. Rose prend la narration à son compte dans « La couleur rouge du Bloody Mary », où une cliente frise l'incorrection, alors Rose ne prend pas de gants! Un sourire ne coûte rien, Madame! « La première ivresse de l'Américan Glory » est une histoire de famille et de garde d'enfant. Les mensonges des grands et les paroles des enfants font de dangereux cocktails. Jay a des coups de foudre et pas seulement quand il prépare des Manhattans! Une brune, un « Black Russian » et des regrets! Jay discute avec un écrivain en panne d'inspiration, il en résulte une histoire où les Martiens et les Vénusiens se combattent! Ils se reconnaissent facilement, les uns se nourrissent de Bronx et les autres de grenadine!
La vie et la mort dans cet espace où se croisent de nombreux destins. L'amitié profonde entre Jay et Archie. Les incidents parfois, bagarres et autres, quelques clients malgracieux, bref la vie et parfois son contraire, la mort!
Les personnages, enfin les clients, sont nombreux et variés. Ils ont pratiquement tous un point commun, il sont très attachants, parfois très solitaires, mais assez souvent, le Jay'Bar est un endroit de rencontre, de conversation serait plus près de la vérité. Un jeune homme qui oublie son livre, des amants qui ne seront jamais heureux, une jeune fille qui ne boit pas d'alcool. Des êtres aussi venant en couple, comme ces personnes âgées qui sont là pour parler un peu. Quelques belles femmes également, Sarah par exemple qui boit trop, mais observe les gens avec minutie. Un homme d'affaires au téléphone, un détective privé qui confond le Jay'bar avec le Bay'bar! M. Le Comte de Dracula qui rentre du Vampire State Bulding!Un plombier qui tombe à pic, Kate, l'infirmière qui arrive un peu déprimée un soir. Un fantôme qui commande un « London Fog ». Un couple dont l'histoire d'amour est au seuil de la rupture, la tristesse d'un rendez-vous manqué, les clients que l'on voie et qui soudainement disparaissent. Un homosexuel qui, après beaucoup d'hésitations, vient avec son ami. Un vieux chinois qui contemple les bulles dans son verre, Rapid Roy et ses amis, fans de voiture et qui carburent aux « Six Cylindres ».
Un livre rafraîchissant, remarquez, vu le nombre de glaçons qui défilent dans les boissons, c'est un peu normal! Les ligues bien pensantes et politiquement correctes, diront qu'il faut consommer avec modération, l'alcool soit, mais pas ce livre!
Je ne résiste pas à vous donner quelques titres de « Sonates » pour vous mettre l'eau (?) à la bouche! « L'Américano les yeux bandés », « Les amants du Blue Lagoon », « Last Exit to Gibson », « La magie rose du Pink Lady », « Deux Zombies pour deux amis ». J'aime beaucoup « Les idées noires de l'Irish Coffee » avec cette conclusion un brin désabusée.
- « Tu vois, l'Irish Coffee, c'est comme la vie. Au début, c'est fort et c'est doux, c'est noir et blanc, chaud et froid. Le temps passe, et puis tout devient tiède, fade et gris ».
Un mot sur les illustrations qui sont très belles, savant mélange de couleurs sombres, souvent du noir d'ailleurs, et de couleurs plutôt froides, qui vont très bien avec le récit qu'elles accompagnent.
Extraits :
- J'ai pensé à Marie et à moi, à tous ces faux départs et à mes vraies douleurs.
- J'ai sorti du frigo une bouteille de Champagne en souriant : nul ne résistait aux seins d'Angèle.
- Qui suis-je, moi, pour dire à Sarah d'arrêter de boire ?
-...c'était une balade irlandaise que tu aimais tellement, cette chanson d'immigrants qui parlaient de solitude et d'amour, de la lande du Connemara et des rues de Galway.
- « Après tout, c'est peut-être moi qui vous l'ai commandé, il y a 20 ans »
- Puis elle a dit : « tu crois que l'amour peut résister à ça ? » En désignant encore la ride naissante autour de ses yeux.
Éditions : Le Castor Astral. 2001.