DAENINCKX Didier / Meurtres pour mémoire.
Meurtres pour mémoire.
Didier DAENINCKX.
Note : 3,5 / 5.
Vingt ans après......
Premier roman de cet auteur que je lise, et cela dans le cadre d'un programme de lecture avec le lycée Colbert de Lorient. Après « L'enfant de Noé » de Eric-Emmanuel Schmitt, le sujet est l'auteur Didier Daeninckx. Si j'ai le temps, je tacherais de lire un des deux autres titres sélectionnés.
Paris, 17 octobre 1961. Une manifestation de travailleurs algériens est réprimée dans le sang et la discrétion. Combien de morts? Nul ne le saura jamais avec précision, mais parmi les corps retrouvés, un semble particulièrement déplacé. En effet, le corps de Roger Thiraud, professeur dans un établissement scolaire voisin, est découvert, un bouquet de fleurs à la main et un gâteau, ce qui ajoute à la confusion. Une balle dans la tête fait plus penser à une exécution qu'à une bavure policière. Au grand soulagement du pouvoir politique, ces faits restent cachés, cette nuit est enfouie au fond du secret d'état!
Vingt ans plus tard, Bernard Thiraud, né après la mort de son père, est abattu à Toulouse. Etudiant en histoire, il sortait de faire des recherches dans les archives de la Préfecture. L'inspecteur Cadin, chargé de l'enquête, prend contact avec Claudine Chenet, sa fiancée qui l'accompagnait, et qui lui parle de recherches historiques? Celles-ci ont-elles un lien avec la mort de son père? Cadin pousse son enquête plus avant et part à Paris avec la fiancée de la victime, se renseigne sur leurs études d'histoire. Quelle période de l'histoire étudiait Bernard, y avait-il un lien entre ses recherches et le fait d'être né à Drancy, lieu de départ de milliers de déportés?
Un ami, ancien condisciple scolaire, lui conseille de ne pas réellement chercher ce qui s'est passé à Paris 2o ans plus tôt, mais après avoir questionné quelques personnes, il lui donne deux éléments, le nom d'un photographe, Rosner, qui a perdu son travail peu après et il lui signale qu'une équipe de la télévision belge était sur place, car Jacques Brel était en concert à l'Olympia tout proche. Rosner confirme que la police a frappé très fort ce soir là, mais à part Thiraud, toutes les victime reconnues ont été matraquées, donc cette mort a un autre motif!
L'inspecteur contacte la télévision belge et rencontre un des deux techniciens présents ce soir là. Il lui explique que ce reportage a été interdit, mais que la télévision belge a refusé de vendre la cassette à la France. Il la visionne et découvre l'exécution du professeur, qui est tué à bout portant, avec un grand sang-froid. Les images confirment que ce crime est un contrat. Travail de professionnel? Pour quel motif?
Ce reportage sera le grain de sable qui relancera l'enquête, car les archives quand on sait s'en servir et que l'on a certains arguments pour y avoir accès permettent de démasquer l'assassin de 1961! Celui-ci admet sans problème le crime, agissant sous les ordres de fonctionnaires plus haut placés que lui! Pour le fils, il ne sait rien. Pourquoi et qui se sent si menacé pour tuer encore?
Inspecteur Cadin, qui est également le narrateur de cette histoire, est le flic intègre, un peu marginal, revenant d'une mutation de 6 mois en Lozère. Il doit se débrouiller avec quelques affaires locales, la grève des éboueurs, des convocations pour le moins étranges qui semblent émaner du commissariat, d'un hold-up dans une bijouterie, etc...
Ici, l'affaire est plus sérieuse, un témoin affirme avoir vu sur les lieux du crime une luxueuse voiture, une Renault TX30, immatriculée à Paris?
Les Thiraud, père et fils, seront les victimes de la raison d'état, mêlée d'intérêts personnels de la part de certains hauts fonctionnaires.
Le tueur du père, toutes ces années après, et malgré une amnistie, découvre son véritable rôle et se remet en cause.
La raison d'état est-elle compatible avec une vraie démocratie, on peut en douter? Un roman instructif, il m'a permis d'apprendre ce que voulait dire la phrase suivante :
« Libérez Henri Martin* » que je voyais en lettres blanches sur les murs gris d'une rue de Montreuil, quand j'étais enfant.
Par contre je trouve dommage l'idylle entre l'inspecteur et une jeune femme, partie prenante de l'histoire, car elle n'apporte rien à l'intrigue, bien au contraire!
A part ce léger reproche, une lecture agréable sur un fait de l'histoire qui n'est pas à l'honneur des autorités en place, ni aux responsables algériens qui ont déclenché, pour des raisons de propagande cette manifestation qui a débouché sur ce massacre. Vu la situation du moment, c'était hélas, inéluctable.
Extraits:
- Je ne m'y ferai jamais! J'ai l'impression de m'adresser à un fantôme.
- Non, je m'occupe d'histoires dangereuses ; une mystérieuse organisation s'agite dans l'ombre. Laisse moi te protéger par ignorance.
- Ce n'est pas un professionnel, mais un amateur éclairé. Les plus coriaces.
- Au début des troubles, la coordination de tout le service policier, une sorte de cellule de crise installée à la Préfecture, parlait d'une dizaine de flics descendus par le FLN à la Madeleine et aux Champs-Elysées.
- Ils étaient comme dingues en entendant la radio....de véritables bêtes féroces. Sur place rien.
- Toute la garde de la Cité a été dirigée contre les prisonniers. Résultat, 48 à 0. Un beau score. A côté de chiffres pareils, les bavures d'aujourd'hui paraissent bien mesquines.
Éditions :Folio policier.
*Militant communiste emprisonné pour avoir refusé d'envoyer des obus sur les quartiers pauvres d'Haïphong au début des années 1950.
Vous retrouverez cette chronique ainsi que celles pour « Lumière noire » et Cannibale » sur le blog de Joëlle « La bibliothèque du dolmen »