HUDSON Henry / Derrière les grilles de Pulditch.

Derrière les grilles de Pulditch*
Henry HUDSON.
Note : 3,5 /5.
Ouvriers de Dublin.
Écrivain que je ne connaissais pas du tout. Né en 1953, son premier livre fut publié en 1980. Cette saga est sa première oeuvre publiée en français. Quelques lignes du prologue ne me déplaisent pas, bien au contraire. Nous sommes en 1958 :
- A la une, un portrait de la toute jeune Reine d'Angleterre, avantageusement retouché : moustache à la Hitler, dents noircies, et deux énormes nibards.
Tant d'irrespect pour la famille royale anglaise ne peut que me plaire!
Saga du milieu ouvrier dublinois des années 1958 à 1983, époque charnière dans l'histoire de l'Irlande, temps des mutations avec l'arrivée d'un bonheur matériel assortie de la perte de nombreux repères. Les événements du monde comme Munich et l'accident d'avion qui décima Manchester United, qui était d'après les spécialistes une des plus belles équipes de football qu'ait connu l'Angleterre. Les combats quotidiens, les grèves et la prison, car les ouvriers des centrales électriques avaient un droit de grève restreint. La vie qui s'écoule, les drames familiaux pour les uns, les jeunes filles vivant et mourant dans les couvents, souvent victimes de viol. Puis vient l'érosion du monde ouvrier et de la solidarité qui faisait force, les mouvements sociaux s'effritent, les anciens meurent, le profit commence à gouverner le monde, là-bas comme ailleurs. Des personnages plus vrais que nature, le prolétariat dublinois, la vie de ce petit monde entre les grèves et la toute puissance de l'église catholique, la sexualité brimée, la pilule interdite, les luttes pour le droit des femmes à l'avortement. Patsy qui met un drap sur le miroir de l'armoire quand elle se lave, car c'est un péché de se voir nue. Elle mettra au monde un garçon, Jack, après un voyage express vers l'hôpital en side-car! Avec son mari, ils n'auront plus d'autres enfants, toute sa vie Tommy se battra pour les droits des ouvriers, elle pour le droit des femmes à la contraception. Quelques autres personnages travaillent également sur ce chantier, Le Chamaillard, La Sardine,Saint-Joseph, arrêtons nous un peu sur cet homme qui semble sans cesse porter sa croix. Cul-béni et charpentier, aucun autre surnom était possible. Sa description par l'auteur est savoureuse. Il semble complètement perdu dans cette équipe de joyeux lurons plutôt paillards et qui ne manquent jamais une occasion de se gausser de lui. Kearns le Rouge, être ambigu syndicaliste, mais aussi arriviste, il préfère l'attaché-casse à la salopette. Paddy Propr'sur-lui et Paddy Plein d'graisse, Harvey-à-l'horizontale, Vit'vu et Foutu, l'inénarrable duo, Le P'tit-Jésus de Prague (qui n'est pas tchécoslovaque), Hannigan-la-Douane et Gussi Gallaher, leur contremaître bien-aimé! Cow-boy Flanagan, syndicaliste à l'ancienne, sa mort signifiera la fin d'une époque. Monica est une amie d'enfance de Patsy, elle est cloîtrée dans un couvent du style des Magdalenes Sisters pour avoir été séduite et abandonnée, enceinte hors des liens sacrés du mariage. Sa fille a été adoptée par une famille inconnue. Graves qui représente le patronat est vraiment un être abject. Bon il en fallait bien un, l'auteur choisit son camp pour lui les autorités patronales, syndicales ou religieuses sont à mettre dans le même sac.
La gouaille et l'humour, un Dublin à la Brendan Behan, qui d'ailleurs était d'une famille de peintre en bâtiment, une profession qu'il a d'ailleurs exercé pendant des années. Je pense un peu au film d'Angéliqua Houston « Agnes Brown », aux personnes âgés de « La guerre des légumes » de Peter Sheridan, à Roddy Doyle. Un Dublin définitivement détruit par les spéculateurs immobiliers.Des courts chapitres donnent du rythme à l'ouvrage. Constat social, roman militant, langage osé pour ne pas dire ordurier par moment. Un livre qui oscille entre le roman et le documentaire. Une oeuvre à la Sean O'Casey que l'auteur cite d'ailleurs dans ce livre. C'est en définitif un peu long et les éléments romanesques paraissent cousus de fil blanc, mais réservent quelques surprises.
Extraits:
- T'emmerde pas avec ce trou duc d'Harvey, ce n'est pas lui qui mourra d'une tumeur au cerveau!
- ...il ressemble à une grappe géante de tomates coeur-de-boeuf qui se serait déguisée en contremaître.
- N'est-il pas écrit qu'il y a plusieurs voies pour pénétrer les filles du Seigneur?
- Les hommes n'ont rien à y faire, sauf les médecins. Leurs participations s'arrêtent à la dernière giclée de sperme, plus ou moins quarante semaines avant.
- En quelques mois elle est enceinte. Son amoureux ne veut rien savoir. Elle met ses parents au courant. Une semaine après, elle se retrouve au couvent.
- C'est bien un Irlandais, surtout ne pas rater une occasion de se vautrer dans le malheur!
- Les promesses de primes, c'est comme un battement de cils de Maryline Monroe. Ça n'engage à rien!
- Patsy se dit que les emblèmes de l'Irlande ont changé. Finis la harpe et le trèfle! A la place, prévoir une perruque et un marteau.
- Une génération plus tard, les curetons tyrannisent toujours les ouailles bêlantes.
- Le drapeau du parti travailliste irlandais, la charrue et les étoiles**, recouvre le cercueil marron.
- C'est un hymne à la fin d'une époque. Un adieu au grand chef des Mohicans.
- Un bon ouvrier c'est comme un bon chien. Ça se dresse.
Éditions : Folies d'encre;
Titre original : Beyond Pulditch Gates (2007);
*Chroniques dublinoises d'une usine ordinaire. Février 1958- Septembre 1983.
** Titre d' une pièce de Sean O'Casey.