POLLIER Anne / Grand Quai
Grand Quai.
Anne POLLIER.
Note : 4 / 5.
Havre de paix!
J'ai découvert Anne Pollier grâce à Hervé Jaouen et à leurs correspondances, puis j'ai lu un excellent recueil de nouvelles "Matin". Ce roman, qui est son premier, a été publié en 1952, dont Hérvé Jaouen préface cette nouvelle édition.
Un port dans les années 1950, Cathie, onze ans, prépare sa communion. Elle mène une vie simple dans un immeuble sur "Le Grand Quai" où cohabite une communauté hétéroclite.
Des gens avec leurs petits soucis, chacun avec son histoire propre, les filles-mères qui "montent" à Paris, mais qui seront à peine plus que des esclaves. Les marins désormais à quai et les boulots parfois infectes comme celui de décharger des cuirs verts suintant de matières malodorantes. Une des voisines un peu simple d'esprit accouche d'un enfant mort-né, ce qui, pense le voisinage, est une bénédiction pour elle. Une amie de la famille vient prêter l'aumônière de sa fille décédée, et raconte la courte vie de l'enfant. Les parents de Cathie se souviennent également d'une petite fille qu'ils avaient recueillie à la mort de sa grand-mère, seule parente qui lui restait et qui était morte de malnutrition, ces enfants non désirés, parfois maltraités, souvent délaissés.La veille de cette fête religieuse, un jeune homme poursuivit par la police se réfugie chez elle, et elle l'aide, qui est-il réellement?
La police qui le cherche n'est pas la bienvenue dans cet immeuble populaire et repart bredouille, mais dans l'esprit de Cathie un doute apparaît, est-elle en état de péché en cachant ce jeune fugitif? Peut-on communier avec un mensonge sur la conscience?Mais le matin Cathie se rend compte de la cruauté du monde et ce jour de fête commence bien mal.
Les personnages sont ceux que l'on trouvait dans ces immeubles souvent vieux et inconfortables. La famille de Cathie, le père, ancien marin, travaille au port et sa mère a également un emploi, ils sont presque des nantis.
Le curé et le médecin qui ne s'aiment pas, les voisines Irène et Lola qui se querellent sans arrêt. Deux soeurs vivant ensemble, dont l'une accouchera d'un bébé déjà mort. Quelques prostituées complètent la liste des locataires ou des visiteurs occasionnels.
Le jeune fuyard, est une sorte d'épée de Damoclès, fantôme dangereux ou inoffensif dont seule Cathie sait la présence.
Un bon livre très bien écrit, les années 1950 ne sont pas si loin dans le temps, mais le mode de vie n'a plus rien à voir avec le nôtre. Un regard plein de tendresse sur les habitants de ce port, qui malgré la dureté de certaines situations évite le piège du misérabilisme ambiant. Cathie semble un rayon de soleil et d'innocence dans ce monde résigné. Encore une fois, la religion semble plus un fardeau qu'un motif de joie pour ce monde ouvrier qui allait, s'en en être conscient, vers sa mort annoncée.
Extraits :
- Elle aimait à s'en référer à l'abbé Josse, à ses connaissances, à sa sagesse.
- Mais son apparence évoquait la marmaille.
- Irène et Lolo se détestaient-elles ou non? Cathie n'aurait su le dire?
- Tous se jetaient leurs affirmations à la tête, soutenant mordicus et prêts à s'étriper.
- Cette phrase avait un son bizarre : naviguer depuis l'âge de onze ans et, tout à coup, chercher une place hors de la navigation.
- La fête lui apparaissait soudain désenchantée. "Le plus beau jour de votre vie" qu'ils disent.
- Souvent il lui venait le sentiment que cette religion était trop lourde pour elle.
- Cathie a reçu ces principes et n'imagine même pas qu'on puisse faire autrement.
- Qu'était-ce donc qui lu avait volé "le plus beau jour de sa vie".
- Pourquoi fallait-il que les gens soient si étranges, que l'on pût les aimer ou les détester une fois pour toutes?
- Le bon Dieu est trop loin pour s'intéresser à notre mal.
Éditions : Diabase.
Autres chroniques de cet auteur :
Groix-Paris 1940.
Matin.