débarqué
Débarqué.

Jacques JOSSE.

Note : 5 / 5.
Voyageur immobile.
J’ai pensé donner comme titre à cette chronique « Gens de chez nous ». Car je sais que Jacques parle de ce département dont le nom, au moment de ma naissance, était « Les Côtes du Nord » devenu depuis « Les Côtes d’Armor ». Ses habitants, je les ai connus enfant, puis adolescent. Mon mère et mon père, ma grand-mère et mon grand-père également y sont nés. J’y ai encore de la famille très proche.
Un homme, le narrateur, nous parle du décès de son père dans un hôpital de la côte.Il écrit ceci :

- Le lien qui nous unissait était peu visible. Nous étions trop timides et timorés pour donner libre cours à nos émotions.
Cet homme, dont le père « Le vieux marin » avait donné le virus à son fils qui, hélas, et à son grand désespoir, ne fut jamais marin ! Une grave

maladie de jeunesse lui avait interdit de faire le métier de ses rêves.
Il choisit alors un métier de substitution, électricien. Sur sa mobylette il partait le matin pour une ville côtière, réparations et installations dans de riches villas. Puis le chômage, et enfin un travail sur une île… la mer encore et toujours.
Ce livre nous raconte, avec beaucoup de pudeur, les relations entre un père et son fils qui se découvrent petit à petit dans un département où à l’époque les métiers de la mer étaient les seuls permettant d’obtenir une relative aisance matérielle. La Marchande ou la Royale ! Ou le séminaire !
On retrouve certains écrivains américains au fil des pages et des années, Steinbeck et Caldwell avant Jack Kerouac.
La passion des coureurs cyclistes avec un mot pour le Major Thomson décédé au mont Ventoux.
Beaucoup de personnages sont rencontrés durant une existence terrestre. Les parents et la famille bien sûr, le père absent durant une partie de sa vie, la mère qui bien entendu gère tous les tracas du quotidien. Les frères et sœur qui naissent et qui pour certains meurent beaucoup trop tôt.
Le cousin Tilly, marin, colosse, gros buveur, qui n’est pas accueilli très chaleureusement par la mère de famille, car c’est une cuite assurée pour le père !   
Que dire des personnages de ce livre, ils me sont familiers. J’ai l’impression de les connaître, d’être des leurs, ce que je suis d’ailleurs.
J’ai connu d’ailleurs un Tilly à Paimpol, ami de mon père.
Les voisins et parmi eux, un peu incongru une parisienne aux mœurs légères. Joséphine et son col de renard ! Son mari, Feu le Père Fernand, le lui avait offert. Elle racontait volontiers les mercredis où elle allait voir son amant et lui sa maîtresse ! Deux frères agriculteurs célibataires chez qui on achetait un demi-cochon, l’un d’eux Eugène mourut renversé par une voiture. L’Ankou parcourait les campagnes bretonnes. Les suicides étaient chose courante à l’époque.
Encore un livre de Jacques Josse qui me va droit au cœur, dans lequel, je retrouve des personnages qui me sont familiers, des figures d’anciens marins par exemple. Une phrase me rappelle cette époque, en parlant de Tilly, Jacques Josse écrit :
–Parfois, il débarquait avec un régime de bananes en guise de cadeau.
Certains de mes oncles me parlent encore des retours de mon père, apportant avec lui des régimes de bananes. Qui pour l'époque était une denrée très rare.

Très peu de noms de bourgs sont cités, mais parmi ceux-là : Gommenec’h où est justement né mon père.
Extraits :
- Leur attelage était savamment huilé. L'un souffrait d'un manque de terre et l'autre d'un manque de mer.
- C'est pour cette raison qu'il n'avait pas pu entrer dans la marine. Pour cela aussi qu'il n'avait pas le droit de conduire. Ni de boire de l'alcool. Ni de fumer, ce qu'il faisait pourtant abondamment.
- La maison d'en face appartenait à Ernest, un homme qui avait effectué plusieurs campagnes de pêche à Terre-Neuve mais qui ne trouvait plus à embarquer.
- Il interrogeait, cherchait à mieux connaître l'envers du décor de ce qu'on appelait « Le Grand Métier ».
- Il n'osait plus descendre à la rivière. À ses yeux, un chômeur n'avait pas le droit de se divertir.
- L'endroit était chargé d'histoire. Il la connaissait trop bien pour ne pas s'en imprégner. Savait que les goélettes qui partaient encore, il n'y a pas si longtemps, pour Terre-Neuve ou pour l'Islande, avec à leur bord quelques tonnes de gros sel et un équipage composé essentiellement de marins locaux, devaient franchir le raz de l'île avant de gagner la haute mer.
- Tout comme son cousin Tilly, il l'appelait frère, ou plutôt breur (ce qui signifie la même chose en langue bretonne).
- Attiré par l'alcool, sans en être dépendant, il tentait d'y résister autant que possible et y parvenait le plus souvent
- Mon père multipliait les virées en terre étrangère sans jamais quitter ses pénates.
Éditions : La Contre Allée (2018).