FONTENAILLE Elise / Les disparues de Vancouver.
Les
disparues de Vancouver.
Élise
FONTENAILLE.
L'envers des médailles.
Note : 4,5 / 5 .
Roman
terrifiant, car basé sur une histoire vraie ! La disparition de plus
de soixante prostituées dans un quartier défavorisé de Vancouver
grâce ou en grande partie à cause de l'inertie des pouvoirs publics
et politiques.
Une
cérémonie religieuse indienne devant une plaque commémorative
commence ce récit. Un chant de deuil s'élève. Onze noms féminins
dont celui de Sarah De Vries, métisse de parents noir et indien,
élevée dans une famille et un milieu blanc, qu'elle a quitté très
jeune, devenue prostituée, droguée et portée disparue.
Elle
a échoué comme beaucoup au « Downtown Eastside » qui
est devenu le royaume des junkies prostituées de tous âges. De
jeunes filles fugueuses, la plupart deviennent vite putes et
dépendantes à l’héroïne. Dans ce quartier abandonné dans
lequel règne la loi du plus fort, la police est absente et la
population de toute façon peu encline à leur parler.
Alors tout
semble bien aller dans le pire des mondes, sur les trottoirs des rues
balayées par l'habituelle pluie qui rend le paysage d'un gris
sinistre....La vie continue, le nombre des disparitions augmente,
vingt, trente, quarante etc....
Quelques
personnes tentent de mobiliser l'opinion publique de la ville, puis
du pays ; Wayne Leng, d'abord client de Sarah, a tenté de vivre avec
elle, mais l’héroïne a été la plus forte. Il détient le
journal intime de cette dernière. Un vieux flic, Bruce, style shérif
d'un autre temps leur apporte un peu de compassion et d'estime. Mais
le nombre des disparitions ne cesse d'augmenter, la police se moque
du problème, mais réagit rapidement au moindre incident concernant
une blanche des beaux quartiers. Certaines filles vont au port et
montent sur des bateaux à quais et sont souvent enlevées et jetées
à la mer quelques temps après....La
police semble s'occuper enfin du problème, un spécialiste
connaissant bien la ville est nommé pour tenter d'élucider les
disparitions, mais de vieilles rancœurs font échouer son enquête...Et
le nombre des disparues monte de plus en plus.....Jusqu'au jour
où une dénonciation inespérée va permettre de découvrir
l'inimaginable.... le comble de l'horreur....
L'incurie
des autorités est fortement soulignée par tous les témoignages,
pourquoi perdre son temps et donc l'argent des contribuables pour des
filles de mauvaise vie, pour la plupart indiennes et dépendantes aux
drogues dures?
La
découverte de l’identité de l’assassin ne résout pas tous les
problèmes et au contraire laisse bien des zones d'ombres? Car si sa
culpabilité ne fait aucun doute, a-t-il agi seul ? Son
frère était-il complice ? Sa soeur était-elle au courant ? Les Hell's Angell tiennent la
ville, ils avaient leurs entrées au restaurant le Piggy's Palace,
ont-ils participé à la série de meurtres? Quelles sont réellement
ses motivations ? Est-il possible que personne ne se soit rendu
compte de rien pendant toutes ces années ? Ici, comme là-bas, que
vous soyez riches et puissants ou pauvres et faibles, la justice
n'est pas la même.
Ce
livre est une peinture effrayante de la ville de Vancouver et
également de la société canadienne dominée comme hélas partout
par l'argent roi et inondée de drogues frappant les plus fragiles.
Ici des jeunes femmes souvent rejetées ou ayant subi des violences
sexuelles durant leur enfance. Le racisme est aussi très présent,
la population exclue étant ici les indiens, principales victimes du
tueur et de la ségrégation.
La
sècheresse de la narration et de l'écriture donne à ce livre un
aspect documentaire qui, je pense, lui confère une force
supplémentaire, car le côté romanesque me semble absent. Les
faits dans leurs horreurs se suffisent à eux-mêmes et le contexte
social n'est pas esquivé, bien au contraire. Un dernier détail, les
frais d'instruction du premier procès se sont élevés à cents
millions de dollars canadiens et l'estimation finale à la fin des
nombreux jugements est de cent vingt millions !
Les
mots de la fin :
- « Un
quart des Canadiens ont du sang indien dans les veines, les trois
quarts restants ont du sang indien sur les mains. »
Extraits
:
-
Une langue oubliée, surgit un passé obscur, qu'on croyait
aboli..... même celles qui chantent, le sens des mots leur échappe,
les jeunes surtout. Ce sont les anciennes qui mènent, elles savent,
elles se souviennent...
-
Un windigo, les vieilles parlent d'un windigo.
-
Dix blocs qui ressemblent à l'enfer, entre cinq et dix milles
junkies vivent ici. Pas la peine de sortir, on trouve tout sur
place.... les dealers, la came, les michetons...
-
Un peu de sexe, un peu d'amour, contre une poignée de dollars. Le
site MISSING c'est sa rédemption, à Wayne.
-
Il fait ce qu'il peut, il ne sert pas à grand-chose, à quoi ça
sert un flic en enfer.....
-
Lui aussi, ça le travail, les Disparues, il sait bien qu'il y en a
qui manquent, et de plus en plus.
-
Chaque criminel a ses propres barrières mentales et physiques.
-
Pour lui, police est fautive, à double titre : complice par
omission.
- Je n'appartiens à aucun peuple, à aucune nation,
je ne suis, ni blanche, ni noire, ni indienne.
-
Au point d'addiction où en était le bébé, une dose de plus ou de
moins, ça ne faisait pas grande différence...
- « Tu
vis toujours à Vancouver » ?
Elle
a répondu, avec un sourire amer :
«
Je meurs à Vancouver. »
Éditions
: Grasset (2010)