BLONDIN Antoine / Monsieur Jadis ou l'école du soir.
Monsieur
Jadis ou
l'école du soir.
Antoine
BLONDIN.
Note
: 4 / 5.
La
vie parisienne.
J'ai
une certaine tendresse pour Antoine Blondin, écrivain inspiré,
grand adepte de la dive bouteille, chroniqueur sportif avisé et
parfois aviné.
Je
ne pouvais donc passer à côté de cette œuvre qui sera donc en
bonne place dans la série « Mes lectures...jadis »
surtout que je me suis fortement inspiré du titre de ce livre pour
l'appellation de ces chroniques. Je reconnais une certaine mélancolie
à la lecture de cet ouvrage. Le Paris nocturne, à cette époque,
devait offrir un cadre de toute beauté à certains vagabondages
erratiques et alcoolisés.
On
pourrait, à lire ce livre et un peu rapidement penser, que Monsieur
Jadis nous offre une visite guidée, sponsorisée par le ministère
de l'Intérieur, de certains commissariats de police parisiens tant
il semble être des lieux obligés de fins de nuits agitées et
brumeuses.
Des
épisodes burlesques, en particulier, et là c'est un grand moment,
une reconstitution grandeur soi-disant nature de la bataille
d'Austerlitz dans un bistrot parisien au grand effarement d'un jeune
couple de Norvégiens en voyage de noces..... Souvenirs sûrement
inoubliables ! Une nuit dans un ministère mal fermé verra bien
entendu une aube dans les locaux de la maréchaussée. Autre grand
moment, l'auteur et un de ses amis, dans un état sûrement second,
confondent la vitrine d'un antiquaire avec la terrasse d'un café et
s'y installent... sûrement pour y boire une bouteille de vin
millésimé.
D'autres
d'une grande gravité, car la mort est aussi évoquée, en
particulier celle d'un jeune vagabond dans un poste de police
parisien, et également celle de Roger Nimier.
A
l'occasion d'un match de rugby Angleterre-France, il connaîtra
aussi les prisons londoniennes !
Il
va de soi que les personnages, connus ou inconnus, sont nombreux.
Honneur aux dames, l' inénarrable Popo, femme de petite vertu,
déjeunant de pastis pur accompagné d'un croissant, s'exprimant dans
un français aussi précieux qu’obsolète puisé dans un
dictionnaire Larousse du XIX ème siècle en 17 volumes, cadeau de sa
grand-mère Bucéphale. Peu habituée à la fréquentation des
églises, et ignorant que les femmes ne devaient pas être tête nue,
elle retira son soutien-gorge, pour s'en faire une coiffe qu'elle
pensait bretonne...le résultat fut encore pire ! Blanche,
l'Auvergnate, figure de la nuit, propriétaire du «Bar-Bac »
et de ce fait habituée de la viande saoule! Odile, la maîtresse
mélomane, madame Jadis mère, adepte de l'accordéon, mais
succombant à la musique des Beatles, allant au petit matin en
chemise de nuit chercher son fils au commissariat.
Les
personnages connus, compagnons des heures de boissons et des heurts
avec la maréchaussée, les écrivains, Jacques Vidalie, Silvagni,
Marcel Aymé, Roger Nimier , qui un matin viendra payer les folies
nocturnes de son ami au volant de son Aston-Martin (avec laquelle il
sera victime d'un accident mortel) habillé en chauffeur de maître! L'artiste
Dieulefils qui devait sculpter le buste du président Coty, Juliette
Gréco chantant Queneau et Sartre, Boris Vian, Jean Dauger le
rugbyman, participent à cette sorte de troisième mi-temps
littéraire, hymne à la nuit parisienne.
Étrangement le lyrisme est
beaucoup moins présent dans les pages consacrées par exemple aux
quelques jours passés en Espagne, ou alors à Londres. Bref une
faune d'anonymes ou d'artistes bon vivant, pas toujours très
recommandables, mais terriblement attachants.
C'est
merveilleusement écrit, plein de poésie, d'humanité et d'humilité.
Et bien entendu d'humour, mais aussi d’auto-dérision, avec le
constat amer que le temps passe. C'est toujours pour moi un grand
moment de bonheur de me plonger dans la lecture de Blondin, je ne
sais pas s'il est encore beaucoup lu, mais personnellement je le
recommande vivement. Surtout qu'il existe dans la collection
« Bouquins » des éditions Robert Laffont une compilation
groupant neuf de ces romans ou essais.
Jadis
me semble très loin, et il est devenu maintenant.
Une des citations
qui commence ce livre est la suivante : « Ma vie est un
roman » Tout-Un-Chacun.
Peut-être,
mais tout-un-chacun n'écrit pas obligatoirement aussi bien.
Extraits
:
-
Déjà le printemps agitait sur le quartier l'imminence bigarrée
d'un crépuscule hippy.
-
J'étais serein, j'avais cent ans, ce qui ne m'empêchait pas d'être
ébloui par les longues cuisses sous les jupes courtes.
-
Jadis, comme : autrefois ?
Exactement.
-
Elle s'appelait Blanche dans la nuit noire et sa silhouette noire ne
tarda pas à recevoir l'hommage de toute nuit blanche. Certains
ivrognes lui vouaient le culte qu'on réserve aux icônes.
-
Entre ce jeune homme délabré et cette vieille dame accoutrée de
pilou, elle se sentait dans son élément.
-
Il revenait fréquemment à la nôtre où l'on procédait maintenant
par bouteilles.
-
Il retrouva la jeune femme apaisée, détendue et pour tout dire,
gironde : elle avait pris trois kilos de musique, harmonieusement
répartis.
-
Je n'étais pas un émigré ; à Paris, j'étais chez moi.
-
Cette soirée au Bar-Bac avait pourtant débutée par une
lente traversée sur des vins blancs tranquilles.
-
Maintenant, qu'on me laisse entrer ! Je suis une pècheresse, une
pècheresse bretonne ….. Et je vais au Pardon pour demander pardon.
-
Durant cette période, j'occupais à demeure ma chambre de jeune
homme ; elle devenait lentement, insidieusement, une chambre de vieil
homme.
-
Sur Montmartre, la mamelle blafarde du Sacré-Coeur appelait l’œil
à l'horizon. J'avais une envie poignante de travailler.
Éditions
: Éditions de la Table Ronde* (1970).
*Il
n'y avait pas que la table qui était « ronde », la roue
d'une bicyclette aussi !
Autres
chroniques de cet auteur :
BLONDIN
Antoine / L'ironie du sport
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Antoine / Sur le Tour de France