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Littérature d'Irlande,de Bretagne et aussi d'ailleurs
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11 novembre 2010

GUILLOU Anne/ Noce maudite.

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Noce maudite.
Anne GUILLOU.
Note : 4 / 5.
Chemin de croix.
J'ai lu il y a plusieurs années un livre très dur de cette sociologue sur l’alcoolisme féminin en milieu rural « Gisèle ou la vie rebâtie » et deux recueils de nouvelles que j'ai chroniqués sur ce blog. Ce court roman est inspiré d'une histoire vraie qui s'est passée à Morlaix au cours des années 1840.
Une femme nous raconte sa vie, enfin peut-on appeler cela une vie? Sa naissance entraine le décès de sa mère, et à l'approche de sa propre mort, elle se confie.
Son existence avec la prise de conscience d'avoir tué sa mère, le père absent, traitant de mystérieuses affaires à Morlaix. La ferme qui, peu à peu, perd de sa valeur, et cette enfant qui se débat dans une misère matérielle et affective, car la vie est une lutte de tous les jours. Les années passent, mais un soir son père vient la rejoindre dans son lit....Commence alors une autre sorte de misère, la misère morale, le sentiment de faute et de répugnance, le manque de courage qui amène au silence, à la résignation et l’impossibilité de fuir pour aller ailleurs. Et un contexte très particulier à la Bretagne avec cette phrase qui paraît anodine :
- Je ne savais pas grand chose de la langue des gens de la ville.
Il n'était pas évident pour une jeune fille d'environ seize ans, ayant vécu dans une sorte d'enfermement et ne connaissant personne d'autre que les gens de la ferme d'avoir le courage de rompre avec sa vie, même si celle-ci est insoutenable.
Et le travail de plus en plus harassant et les nuits qui se suivent et l'inéluctable arrive : la jeune fille est enceinte. Pour sauver les apparences, son père la place à Morlaix dans une auberge, elle découvre un autre monde, accouche d'une petite fille qui lui sera retirée à la naissance et retourne un peu plus tard à la ferme familiale. Et la vie reprend, harassante, mais avec un peu plus de rêve et d'espoir, le séjour à Morlaix lui ayant fait découvrir un autre monde. Elle espère un homme qui la rendra un peu heureuse, enfin moins malheureuse...Les années passent et un vague cousin de son père semble enfin s’intéresser à elle. Pour la première fois, elle envisage un monde meilleur, mais son père encore une fois brisera sa vie...
La narratrice est d’emblée vouée à la misère, son monde est pauvre, fermé, et en plus sa naissance est la cause de la mort de sa mère. Livrée de par son éloignement et sa solitude pieds et poings liés à son père, son calvaire peut commencer...
Son père, être abject par excellence, seigneur et maître des lieux et des corps. Un personnage assez récurrent de la littérature bretonne et irlandaise où les pères ont très souvent le mauvais rôle, je pense par exemple à Edna O'Brien ou à John McGahern.
Jean-François, celui qui pourrait être le sauveur et dont étrangement nous ne saurons plus rien. Il aurait peut-être pu comprendre la situation ou alors le poids des traditions était-il trop lourd à porter? J'aimerais savoir. J'ai posé la question à Anne Guillou, qui m'a répondu qu'historiquement, Barbe (prénom de la vrai protagoniste du drame) devait effectivement se marier, mais que cet homme n'a pas réellement laissé de trace.
Les domestiques de la maison, Naïg la bonne, qui seule montrera un peu de compassion, n'ont aucun pouvoir pour faire changer les choses ; ne rien voir et ne rien dire est la règle d'or.
L'histoire de cette femme est terrifiante, marquée par le malheur dès qu'elle voit le jour. C'est très bien écrit sans tomber dans le larmoyant, avec une certaine sécheresse qui semble aggraver encore le sort du personnage qui, pourtant, n'a pas besoin de cela. Le constat social est très présent dans ce livre, œuvre forte, implacable, laissant un goût amer et posant des questions sur les capacités de nuisance de certaines personnes.
Les mœurs de l'époque sont souvent atroces et inhumaines, par exemple, le père qui à la mort de son épouse, vient chercher pour la remplacer sa sœur cadette! La justice ne donne pas la parole à cette femme, personne ne s'intéresse à son histoire et à son calvaire. Les conscrits qui sont très peu à revenir en bon état, partent pour sept ans et sont tirés au sort ! Mais bien évidement tout se monnaye, Jean-François vendra son numéro gagnant si l'on peut dire, au fils d'un homme fortuné et partira à sa place. La vie dans les campagnes reculées, dans un monde fermé et cruel pour les femmes et les pauvres, écrasés par, surtout en Bretagne, une église toute puissante.
Combien de jeunes filles ont eu ce destin tragique dans le silence et l'indifférence générale ?

Extraits :
- L'hiver est terrible pour moi. Les anciens disent que l'enfer breton est froid. Je les crois volontiers.
- Je n'ai jamais osé croire que les jours, un jour, seraient meilleurs.
- Dès que j'ai eu un peu de jugement, j'ai su que j'avais tué ma mère.
- On parlait de moi comme d' une verrue, d'un furoncle, d'une chose bancale, rejeton dont la mère était morte.
- La terre argileuse, j'en prenais une poignée et, l'effritant, je pensais sans tristesse qu'elle me ferait un agréable linceul.
- Même le ciel et ses saints semblaient me refuser leur aide.
- Depuis ce temps-là, j'ai l'âme gercée, le corps fracassé.
- En ce temps-là, souvent, les femmes accouchaient dans les étables, surtout lorsque la délivrance
s' annonçait à la nuit. Il y faisait meilleur que dans la maison aux murs mal joints.
- Je n'ai pas été incommodée par les jeunes gens du village. Ils m'évitaient. À leurs yeux j'étais une personne infréquentable.
- On la respectait. Elle connaissait tous les secrets de famille, ceux qui s'écrivent dans les linges et que les corps trahissent.
- Entre elles, elles avaient parié sur l'issue du jugement ; les gagnantes réclamaient aux autres la menue monnaie de leur mise.
Éditions : Skol Vreizh (2010)
Autres chroniques :
La lanterne bleue.
Le désespoir tranquille des hommes.

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Commentaires
E
Anne Guillou, une très belle écriture. sobre et juste. J'ai envie d'en lire d'autres, maintenant...<br /> <br /> Une histoire d'inceste comme il y en a eu tant autrefois, qui ont détruit des êtres et des familles entières. Mais pas que. <br /> <br /> Mme Guillou a su donner vie au personnage de cette femme croisée au coin de l'archive d'un procès...
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E
Bonsoir Fransoaz.<br /> Pour l'instant tout ce que j'ai lu de cette dame (très agréable) m'a beaucoup plu, en particulier son recueil « La lanterne bleue ». Il me semble avoir encore dans ma bibliothèque un autre recueil de nouvelles pas encore lu..donc à suivre.<br /> Bises et à bientôt.<br /> Yvon
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F
J'ai découvert les livres d'Anne Guillou il y a quelques années en participant chez elle à un atelier d'écriture. Son écriture est bien ancrée dans le quotidien breton; "ses héros" sont souvent des gens de peu.
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E
Bonjour Clara.<br /> C'est une auteure à découvrir, ses recueils de nouvelles sont très bien, leur seul défaut ; ils sont devenus très difficile à trouver.<br /> Bises et à bientôt.<br /> Yvon
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E
Bonjour Sylire.<br /> Chaque chose a deux faces et la Bretagne ne fait pas exception! Mais c'est vrai, on est loin de l'univers de Louis Pouliquen.<br /> Bises et à bientôt.<br /> Yvon
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Littérature d'Irlande,de Bretagne et aussi d'ailleurs
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