AUSTER Paul / Le voyage d'Anna Blume.

Le voyage d'Anna Blume.
Paul AUSTER.
Note : 5 / 5.
Poste restante !
Il y a quelque temps, avant de m'occuper de ce blog, j'ai beaucoup lu Paul Auster, puis j'ai abandonné sans raison particulière après la lecture de « La nuit de l'oracle ».
Dans ma récente chronique pour « La route » de Cormac McCarthy, je disais que ce livre m'avait particulièrement plu. Qu’en est-il plusieurs années après?
Anna Blume écrit une lettre, elle ne sait pas si celle-ci arrivera, nous ne savons rien du destinataire! Dans un long préambule, Anna nous explique la vie là-bas, dans ce pays des choses dernières, la faim omniprésente et la mort. Si à l'heure actuelle, la mort est un commerce, dans ce livre, c'est une industrie! Et l'imagination est réellement au pouvoir : les « coureurs » eux meurent en courant, les « sauteurs » en sautant ; vous pouvez adhérer au « Club des assassinats », moyennant finance vous serez assassiné, à moins que vous ne décidiez d'assassiner votre futur assassin. Dans ce cas vous ferez partie des assassins et non plus des assassinés, et le statut social n'est pas le même. Si vous êtes riche, vous pouvez vous inscrire dans une « Clinique d'euthanasie »! Mort rapide ou longue et raffinée, chacun fait selon sa bourse!
Voilà le monde, où après dix jours de bateau, sur lequel elle était la seule passagère, Anna arrive!
Elle recherche William, son frère parti en reportage dont on est sans nouvelles, un autre reporter Samuel Farr a disparu également. Pourquoi Anna aurait-elle plus de chance dans ces contrées, sans foi ni loi. La raison du plus fort est toujours la meilleure, c'est sûr, surtout en ces temps où l'obscurantisme règne en maître, les écoles n'existent plus, d'ailleurs il n'y a plus d'enfants! Les rues s'ornent de barricades, péages provisoires, la nourriture, le sexe et l'argent parfois servent de monnaie de passage. Plus rien ne marche, les égouts ne sont plus qu'un lointain souvenir. Pour survivre de nouveaux métiers ont vu le jour : les « fécaleux » service municipal chargé de le collecte des excréments humains qui servent à alimenter les quartiers en énergie! Les « charognards » cherchent les détritus, et se méfient des « vautours »! Les cadavres sont détroussés, à peine à terre, souvent par la famille d'ailleurs, une dent en or, qu'elle aubaine ! La jungle urbaine! Mais Anna a encore un reste d'humanité, elle sauve une vieille femme, Isabelle de la mort........
Quelques personnages plutôt sympathiques dans ce chaos, Isabelle « Chercheuse d'objets », elle s'est réfugiée dans la religion et aidera Anna, Samuel Farr qu'elle retrouvera, des intellectuels rescapés du « Mouvements de Purifications». Victoria Woburn qui, avec quelques amis, tente de faire de la fondation créée par son père un havre de paix et de soins pour certains démunis, mais hélas, l'argent au bout du compte finit par manquer. Dans les premières pages de ce roman, Paul Auster semble faire le constat terrifiant de notre société de surconsommation en nous plongeant dans une société de sous-consommation. Contraste qui cohabite dans notre monde actuel ! Le réalisme de Paul Auster est saisissant, les situations et les détails paraissent véridiques. Les pluies et les vents ont pris des proportions phénoménales, les villes ne sont plus que des ruines, et malgré tout, la race humaine tente de survivre! Plus rien n'est jeté, tout sert puis ressert, des déjections aux papiers journaux, le caddie de supermarché est devenu un outil de travail indispensable et le moyen de transport le plus utilisé!
Une note d'espoir malgré tout, la pluie et le beau temps font toujours recette, car entre « Les Tout-sourire » qui pensent qu'un sourire ramènera le beau temps, « Les Rampants » qui eux pensent que l'on a que ce que l'on mérite, alors rampons, mais comment ramper? Comme « Les Chiens » ou comme « Les Serpents »? Sans compter sur « Les Tambourineurs », « Les Fin de Mondistes » ou autres « Libres Associationnistes »! Les idées saugrenues ont encore du bon temps devant elles!
Un des meilleurs romans traitant d'un monde cauchemardesque, mais qui malheureusement semble très plausible!
Extraits :
- L'essentiel est de ne pas s'accoutumer. Car les habitudes sont mortelles.
- Les gens meurent et les bébés refusent de naître.
- Il y a quand même ceux d'entre nous qui réussissent à vivre. Car la mort aussi est devenue source de vie.
- Car il n’y a pas de politique en tant que telle dans la ville. Les gens sont trop affamés, trop pris dans leurs pensées, trop dressés les uns contre les autres pour cela.
- La vie telle que nous la connaissions a pris fin, et personne encore n'est en mesure de saisir ce qui l'a remplacée.
- S'il y a suffisamment de gens qui nourrissent en même temps des pensées sinistres, la pluie se mettra à tomber.
- Chaque zone de recensement possède sa propre centrale d'énergie qui fonctionne entièrement à l'ordure.
- Ils ont acheté à l'administration municipale le droit de recueillir les détritus de leur aire géographique.
- Le ramasseur d'ordures cherche des détritus ; le chasseur d'objets est en quête de choses à récupérer.
- Ce fut l'œuvre du pur hasard, un de ces coups de chance qui tombe du ciel.
- Les mots ont tendance à durer un peu plus que les choses, mais ils finissent aussi par s'évanouir en même temps que les images qu'ils évoquaient jadis.
- Vous voulez dire que je ne suis pas morte ? Il faudra que le prouviez avant que je le croie.
Éditions : Actes Sud/Babel (1989).
Titre original :In the Country of the Last Things (1987)

Comments

[Eireann Yvon]

Bonjour Karine
J'ai moi aussi trouvé ce livre éprouvant. Il va loin dans le côté glauque du monde à venir.
Un des très bon romans traitant de ce sujet.
A bientôt.
Yvon

[Karine:)]

J'avais trouvé ça assez terrible comme roman.. on nous entraîne vraiment au bout du bout...

[Eireann Yvon]

Bonjour Miss Hyde!
Choisir un livre, c'est cornélien! Et cela arrive très souvent. J'ai moi aussi bien aimé les livres que tu cites. Pour Paul Auster ainsi que pour Barbara Kingsolver, ce sont des découvertes que je dois à mes filles!
A bientôt.
Yvon
PS. Pour le voyage n'oublie pas ton agenda! (Private jock!)

[miss hyde]

j'ai lu beaucoup de romans de Paul Auster dans les années 90, dont celui-ci, mais ma préférence reste pour " moon palace' & son 1er roman, qui explique en soi le reste de son oeuvre " l'invention de la solitude". Il faut que je relise "le voyage..." tu m'en redonnes envie, mais là j'ai aussi qui m'attendent d'autres romans. Pas assez de temps pour tout lire en ce moment !

[eireann yvon]

Bonsoir Ys.
Comme quoi, les goûts et les couleurs peuvent être différents. Et c'est tant mieux.
A bientôt.
Yvon