La tourmente. Kenavo.
Luc CORLOUËR.
Note : 5 / 5.
Bienvenue à Montparnasse*.
Auteur né à Montauban, c'est son premier roman. Du côté paternel, il appartient à une ancienne famille de négociants de Tréguier. Passionné d'histoire, en particulier de la guerre 14/18, il a publié de nombreux articles dans des revues spécialisées. Ce roman a obtenu le prix des bretons de Paris en 2007.
Paris dans les années 1900, la construction du métro a fait affluer de toutes les provinces françaises de nombreux ouvriers dont beaucoup de bretons, pas très bien acceptés des habitants de la capitale. Témoins, cette réflexion d'un chef de chantier :
- « Si t'es pas content tu peux partir et le foutre dans ton sac. Ça fera deux mal français de moins sur ce chantier ».
Parmi ceux-ci, il y a Louis Callennec, 18 ans, il vient de Pleubian dans les Côtes d'Armor. Il doit assumer la majorité des besoins de sa mère et de ses soeurs restées au pays. Leur père, Erwan, comme des milliers d'autres est mort en Islande pendant une campagne de pêche. Le travail est très dur, les journée très longues pour un salaire de misère, en plus il a fait un achat inconsidéré, une reproduction de « La Tourmente », goélette de Paimpol dans une bouteille en verre! Quelques membres de sa famille habitent également Paris, comme le frère de son père Eugène, menuisier rue de Vaugirard. Il est ami avec un jeune lycéen parisien, Julien ; malgré leur différence, il sympathise très vite. Car Louis a un autre problème, que Pierre Lesage, parrain de Julien et député, pourrait régler. Le prochain tirage au sort des jeunes partant pour trois ans à l'armée! Mais il y échappe! La vie suit son cours, le travail harassant, les grèves, le licenciement. Julien, son sursis terminé, part au Maroc où la situation se dégrade. Louis trouvera un autre travail, se mariera hélas pas pour le meilleur, mais pour le pire. Les années passent, Julien revient du Maroc. Louis veut rentrer au pays, Julien l'accompagne, il y a dix ans que Louis est parti! Mais ce ne sont que des vacances, il faut retourner à Paris. Louis divorcera, continuera sa vie, qui passera monotone, le mal du pays ne le quittera pas, encore et toujours retourner vivre à Pleubian.
Mais un matin le tocsin sonne partout en France, la guerre est déclarée, l'hécatombe peut commencer.....
En Bretagne, à la fin de cette boucherie la constatation est amère :
- « Plus rien ne serait comme avant.... »
Louis, est un jeune homme naïf en débarquant à Paris. Comme beaucoup, il apprendra à ses dépends que certains principes qui guidaient son existence n'ont plus cours ici! Il connaîtra la haine et le mépris qu'affichent certaines personnes pour les provinciaux et en particulier pour les bretons. Il défendra les ouvriers pendant les manifestations, mais il tentera de s'interposer quand un ingénieur sera tué. Il sera malgré tout licencié, son mariage sera de courte durée, courageux, il sauvera un colonel de la mort dans un accident de voiture. Mais dix ans c'est long, trop long....
Julien, c'est le Parisien, celui qui l'a guidé dans la capitale, devenu un frère malgré la différence de classe sociale. La guerre du Maroc lui ouvrira les yeux, mais le marquera à jamais, en lui faisant découvrir la face cachée du colonialisme. L'amitié entre Louis et lui ne se démentira jamais même dans les jours sombres qui les attendent.
Guyomard, le « pays » de Pleubian, le copain des bons et des très mauvais jours, ami de travail et de fêtes, le fidèle avec qui on peut parler de là-bas....
J'ai beaucoup aimé ce livre, car il parle sans fioritures d'un phénomène qui a marqué le vingtième siècle en Bretagne, l'exil. Il évoque aussi ce qui a marqué en Bretagne la fin d'une manière de vivre, la guerre de 14/18, le monde paysan amorçait son déclin, la pêche à l'Islande était terminée , la natalité des années passées entraînait obligatoirement un flot migratoire qui ne prendra fin que des dizaines d'années plus tard.
Extraits :
- Déjà que je n'aime pas les bretons, ni les les fainéants... Alors, les bretons fainéants!....
- C'est qu'elle ressemble tellement aux bateaux de Paimpol....
Mais c'est de là qu'elle vient, gamin. Regarde sur l'socle : Yves Le Louarn, Loguivy.
- Rue de Vaugirard...La rue est animée. Nombreux sont les bretons en costumes traditionnels et les bretonnes en coiffe.
- Il m'a répondu qu'on avait pas besoin d'intellectuels de gauche sur le chantier. C'est depuis... En plus , comme je suis breton, tu vois, j'ai toutes les qualités.
- Ah, volé tu l'as pas celui-là, Erwan!
- Au chantier du  métro, il y avait quelques pays : Tréguier, Paimpol, Ploubazlanec, Trédarzec.
- Est-il vrai que la plupart des gens ne parlent pas français dans votre région?
- « Kenkuit eun deiziou eun Pleubian memez glas eu rafe! »
(Un jour à Pleubian même s'il pleut »
- C'est dur, très dur, mais il faut y aller, Louis, ar bara e ao du-hont! (le pain était là-bas!).
- Comme beaucoup de marins bretons, il ne savait pas nager.
- Ils mourraient aussi, mais bien plus loin. Ollivier avait décompté presque cent-vingt tués de Pleubian depuis le début de cette guerre.
- En faisant des efforts, il était arrivé à comprendre, puis à parler le breton alors que la plupart des gens de la région tentaient le contraire.
Éditions : Le Cormoran. (2007)
* Ce qui n'était pas spécialement le cas dans les années 1900.
Site de l'auteur, ici.