ROGER Marie-Sabine / La tête en friche
La tête en friche.
Marie-Sabine ROGER.
Note : 4,5 /5.
Et le coeur en jachère.
Après une longue pause, je reviens au prix Cezam, avec la lecture de ce roman, qui sera le quatrième. Cet auteur m' est quasiment inconnu, malgré une production déjà relativement importante.
Suite à un coup de foudre, Germain adopte Margueritte, normale me direz-vous ! Pas sûr quand on sait que Margueritte a 86 ans, et Germain beaucoup moins. Pourtant tout les oppose, Margueritte est petite et fluette, lui est plutôt colosse et bien en chair, elle a fait des études, lui les a plutôt fuis. Elle aime lire, lui préfère la belote. Pourtant une certaine complicité les unit. Pourquoi ?
Germain est un personnage, avec des idées bien arrêtées, même si elles sont un peu farfelues. Par exemple, il veut que son nom soit écrit sur le monument aux morts, la mairie lui fait remarquer que heureusement (ou malheureusement), il ne remplit pas la première des conditions : être mort! Ce n'est pas un problème, répond-il, je ferai noter cette volonté sur mon testament.
Son enfance ne fut pas des plus heureuses, étant né d'une relation fortuite, il ne connut guère la chaleur d'un foyer. Sa période scolaire ne fut guère plus réjouissante, car il fut la tête de turc de l'instituteur. Plus tard, émerveillé par les vitraux d'une cathédrale, il voulut devenir vitrailleur, ce qui lui fut pas accordé. De rage, il refusa un apprentissage de verrier. Quelle erreur, mais ainsi va la vie de Germain!
Ne les trouvez-vous pas attendrissants tous les deux sur leur banc? « La Belle et la Bête », version littéraire! Dans ce jardin, ils comptent les pigeons, ou alors certains jours Margueritte fait la lecture. « L'étranger » de Camus par exemple, et il y prend goût, Germain !
Margueritte, adorable grand-mère, instruite, pleine de gentillesse, elle l'aime bien son Germain !Presque autant que ses livres et que les oiseaux du parc. Germain Chazes est le narrateur de sa propre vie. Il n'est pas réellement stupide, mais il n'est pas très intelligent non plus. Il est pour reprendre l'expression de mon amie Marie Le Drian « limité ».
Annette, sa maîtresse, dont la description vaut le détour :
-elle est bizarrement foutue, Annette : elle a une taille menue, j'en ferai le tour d'une main et des seins gonflée à l'azote, tout ronds et durs, qui te prennent la paume en entier et qui résiste à la pression vous pouvez me croire. Elle n'est peut-être pas jolie avec ses yeux cernés, sa figure maigre et son regard de chien battu mais elle a quelque chose-.
Germain sous son air fruste a beaucoup de sentiments.
Les copains de bistrot sont des copains bistros!, Blagueurs, ils se moquent volontiers de lui. Mais eux aussi à leur manière portent chacun, enfouis au fond d'eux-mêmes, quelques drames personnels. Alors ils boivent sec.
J'aime beaucoup ce genre d'écriture qui ne s'embarrasse pas de règles. C'est rythmé, facile et à mon goût jubilatoire. L'humour est toujours présent, malgré un côté un peu désabusé de Germain. Le langage parfois cru, mais pas trop. Un bon moment de lecture, pour un livre plus grave qu'il n'y paraît au premier abord.
L'auteur nous donne quelques leçons de grammaire en nous indiquant la définition de quelques mots plus ou moins usuels, par exemple :
Illettré – qui ne sait ni lire ni écrire. Voir : ignorant.
Intrigué – voir : exciter la curiosité.
Version – voir : interprétation.
Trajectoires – ligne (parabole) décrite par un projectile, après sa projection.
Irrationnelles – voir : anormal, fou, gratuit.
Hérédité – ensemble des caractères des dispositions que l'on hérite de ses parents.
Inculte – qui n'est pas cultivé. Voir : friche, etc. etc.
Une histoire magnifique, un bien beau roman. Une étonnante découverte que je conseille à tous.
Extraits :
- J'ai décidé d'adopter Margueritte. Elle va bientôt fêter ses 86 ans, il valait mieux pas trop attendre.
-Les vieux ont tendance à mourir.
- Mais il ne faut jamais rien regretter, dans la vie : ce qui est passé doit rester en arrière.
- Elle parlait de façon compliquée, tout en guirlande et poil de cul, comme les gens bien élevés. Mais les vieux sont souvent plus polis que les jeunes.
- La mère m'appelait aussi le taré ou l'andouille. Et quand je me suis mis à grandir : le grand con.
- Mon cerveau est en haut, mes burnes sont en bas, et je ne confonds plus entre les deux étages.
- Entre vivre et comprendre la vie, et il n'y a pas vraiment de rapport, vous voyez?
- Quand on n'est pas éduqué, comme moi, vous ne pouvez pas savoir comme c'est compliqué, la lecture.
- Margueritte, sans le vouloir, elle m'avait déclenché une sacrée envie de réflexion, comme une bandaison de la cervelle.
- Chez les vieux, tout finit par se ressembler, penser, mourir, faire la sieste...
- Je crois que je commence à comprendre la différence entre le sexe et l'amour, pour parler poliment.
- Observer, c'est regarder l'utile, en se disant qu'on veut se souvenir. Et du coup on voit mieux. Forcément.
Éditions : La Brune aux éditions du Rouergue.
Les avis de Joëlle, Sylire,Flora. Mais il y en a plein d'autres!
Il est à noter que pour une fois Joëlle et moi sommes d'accord!