Des néons sous la mer.
Frédéric CIRIEZ
Note : 5 / 5.
J'aime Paimpol et son sous-marin!
Premier roman de cet auteur né en 1971, il raconte la reconversion d'un sous-marin «très rose» en bordel, non pas ambulant comme le chantait Brel, mais flottant entre deux eaux! Et dans la baie de Paimpol, au pied de l'abbaye de Beauport, extase et épectase, cul-béni et cul payant. Embarquement immédiat!
Un jeune homme bien sous tout rapport est embauché dans une maison de joie des Côtes d'Armor. Cette dernière est l'épave d'un ancien sous-marin qui fut la honte de la marine nationale, de bordel militaire non officiel, il est devenu « maison de joie » civile et déclarée. Ce genre d'endroit, qui se nomme ici « Olaimp », est de nouveau légal, et figure dans des guides spécialisés, qui existent, comme pour les restaurants et les hôtels , répertoriant ce genre d'établissements.
Beau-vestiaire est le surnom de ce jeune homme, il nous fait visiter son lieu de travail, les structures d'un bâtiment de guerre transformé en lupanar! Nous faisons aussi connaissance du personnel, des femmes attachantes car l'auteur évite le mélo, mais qui à un moment ou à un autre ont dû se résoudre à vendre leurs corps.
Des bretonnes Morgane, Paimpolaise et La Rose des Vents, la québécoise Mic-Mac, Liberty la marocaine et les autres. Les hommes Ankaou pour la gente masculine et Free pour les femmes en mâle de sensations fortes!
Nous avons le droit de lire les réflexions des clients déposées dans « La boîte à désirs ». Un paragraphe s'intitule « Questions de base pour un profilage marketing du client » ; l'auteur nous livre des témoignages de clients et de clientes plus vrais que nature, du fusilier marin de Lorient à la jeune anglaise qui pour perdre son pucelage veut profiter des avantages dont la nature a fait profiter « Free ». L'Olaimp s'occupe également de la formation de ses futures employées, ce qui donne sur un CV : Séminaire d'économie sexuelle et de prostitution générale dans le sous-marin Olaimp (22).
Les sorties de Beau-vestiaire sur sa moto sont intitulées des « Fugues » très poétiques et musicales. Au cours d'une de ces sorties, il rend un hommage à Patrick Dewaere, natif de Saint Brieuc.
Quelques chapitres comme « Approche textuelle du folklore érotique breton » nous donnent des versions plus salées de quelques vieilles légendes. Un autre s'intitule « Note sur le nom d'un corps de métier » avec par exemple cette réflexion :
- « Morue » est trop lourd à porter à Paimpol-trop de souvenirs liés à la pêche en Islande.
J'aime beaucoup le côté sérieux, style universitaire préparant sa thèse qui pourrait s'appeler « Des retombées politico-financières d'un bordel sous-marin dans la baie de Paimpol ». Un chapitre information pratique, où tout est dit du chèque cadeaux accepté aux accès handicapés en passant par la sécurité intérieure et extérieure, les admissions sont rigoureuses (les marins saouls ne sont pas acceptés). Avec plusieurs cartes concernant les menus gastronomiques et les menus plaisirs distillés par des péripatéticiennes. Imaginez, prendre des « sucettes boulevard » au dessert puis passez un moment avec Sissi : « elle fera de vous un empereur, ....si vous le méritez ».
Mais le style change, les femmes et les hommes parlent, les portraits des jeunes et moins jeunes femmes travaillant dans ce sous-marin, mais pas en sous-mains, est par contre plein de tendresse et de respect.
Profondément humain , ces femmes et ces hommes dévoilent un peu de leurs vies, et même parfois un peu de l'avenir qu'ils espèrent.
Une oeuvre plus grave qu'il n'y paraît au premier abord, ce monde aseptisé dans le vase clos d'un sous-marin, politiquement correct n'est-il pas la négation de la vie? Une approche de la prostitution de l'avenir, « Le meilleur des mondes » version sexe? Mais pour les femmes, la sécurité est garantie, le proxénète est remplacé par l'Etat qui est le grand gagnant de l'affaire.
Un grand livre, une expérience littéraire et une découverte surprenante car l'auteur mélange allégrement les genres et le réussit très bien. Et quelle imagination!
Extraits :
- Je reçois. J'observe. On me dit. Je recense. Je griffonne. Je vis. Je suis bien.
- Sur le territoire d'Olaimp, la culture de l'huître et le commerce des charmes se lancent ainsi d'invisibles regards.
- ...et si l'on fait bien sûr exception du festival aoûtien des Chants de marins, succès éthylique transnational...
- J'espère qu'il ne m'a pas pris pour une agace-pisette (allumeuse).
- Dans un virage, je tombe sur un rade attirant comme une maison de sorcière au coeur de la Forêt-Noire : Au Stop Bar.
- La distribution des principaux organes du vaisseau s'opère sur trois niveaux.
- C'était en 2010, avant les lois. Avant le sous-marin.
- On m'a toujours demandé des faveurs mais on n'a jamais fait attention à moi.
- Le pipeline monétaire est la vocation phallique de tout bon bordel.
- Octobre, Paimpol...Un grand désert rectangulaire de vent, de bars, de mâts et d'eau.
- Moi je ne défends pas la cause des putes, j'me contente des soigner les hommes.
- Travailleuse du sexe jusqu'à la mort, c'est trop.....
- Si ma femme était comme vous, je ne viendrais pas vous voir. Vive vous!
- Si l'homme est un loup pour l'homme, qu'il ne soit pas un loup pour la femme.
(Proverbe accroché dans le couloir menant aux chambres).
Éditions : Verticales. Phase deux.